Une troisième voie pour anticiper les populismes
Par Thomas Dermine, économiste et membre du Groupe du Vendredi. Cet article est également paru dans L’Echo du 5 mai 2017.
N'en déplaise à mes amis pessimistes, et certains commentateurs de l’actualité économique, le monde va mieux. Et il n'a même jamais été aussi bien. Par exemple, en analysant les derniers chiffres de la Banque Mondiale, on constate que sur les 30 dernières années seulement, le taux global d’extrême pauvreté a été divisé par quatre, la mortalité infantile a été divisée par deux et la proportion d’enfants atteignant un niveau d’éducation de base a augmenté de près de 50%.
Ces avancées sont principalement liées à l’accès à un système libéral d’économie de marché qui a permis de sortir plusieurs centaines de millions d’individus de la pauvreté que ce soit en Asie, dans certaines parties d’Amérique du Sud et même d’Afrique plus récemment. Cette entrée dans le jeu des échanges mondiaux a permis à une classe moyenne dans des pays anciennement ‘sous-développés’ d’émerger et on ne peut qu’en s’en réjouir. La globalisation est en passe de réussir en quelques années ce que des décennies de politiques de charité occidentale ont échoué à faire.
Si ce système libéral est une formidable machine à créer de la prospérité au niveau global, il est en revanche beaucoup moins fort pour en repartir les fruits. Et c’est ce que Trump ou Le Pen nous rappelle dans la douleur car l’émergence de continents entiers s’est faite partiellement aux dépens de la classe moyenne occidentale en Europe et aux USA mise en compétition avec d’autres parties du monde pour la production de biens et de services. Les nouvelles revendications protectionnistes dont certains leaders populistes sont les porte-drapeaux en sont les conséquences logiques et prévisibles.
Il existe aujourd’hui une certaine arrogance chez les économistes et chez une élite occidentale privilégiée qui regarde avec mépris l’expression de ces tendances protectionnistes. Celles-ci sont considérés comme une nouvelle forme d’égoïsme de la part de nations occidentales en perte de vitesse dans un monde globalisé. Gaspard Koenig, le philosophe libéral français exprime cela magnifiquement en reprochant aux classes populaires européennes de « reproduire à l’échelle du monde ce qu’elles ne supportent pas que les riches fassent au sein de leurs nations, c’est-à-dire protéger un capital acquis ».
Comme le rappelait récemment Joseph Stiglitz dans une récente tribune, il est capital que les admirateurs inconditionnels du modèle de libre-échange reconnaissent que ses effets puissent être négatifs pour certaines franges de la classe moyenne occidentale. Le nier, sous prétexte que le monde dans sa globalité va mieux (ce qui est vrai) est catastrophique et nous l’observons chaque jour avec l’émergence des nouveaux populismes. L’argument « Vous avez perdu votre emploi en Europe mais ne vous inquiétez pas, le monde va mieux et cinq chinois ont trouvé un emploi » n’a en effet jamais été très porteur électoralement. Il faut donc entendre et comprendre les nouveaux élans protectionnistes plutôt que de les rejeter au risque que l’élection probable d’Emmanuel Macron ne soit qu’une parenthèse, un répit dans la montée des populismes.
Face à une mutation de l’ampleur de la globalisation, nos décideurs politiques ont le choix entre trois stratégies. La première stratégie est de ne rien faire, c’est-à-dire estimer que le processus de globalisation est inexorable et que les pertes d’emplois en Europe ne sont que des « coûts d’ajustement » à court terme vers un système de production globalisé. Cette première stratégie est vouée à l’échec car elle néglige que ces « coûts d’ajustement » sont autant de familles qui souffrent et de citoyens en colère qui risquent d’utiliser leur pouvoir démocratique pour destituer le politique. Cette approche n’est donc pas soutenable et c’est précisément la démonstration qui nous en est faite avec la montée actuellement avec l’avènement des nouveaux mouvements populistes. La seconde stratégie est le mouvement de balancier inverse qui consiste, sous les pressions populistes, à essayer de protéger son marché en construisant des murs. Cette stratégie est tout autant vouée à l’échec que la précédente car elle nie la nature intrinsèquement dynamique de l’économie et la dépendance forte aux importations (qui permettent notamment de préserver le pouvoir d’achat des mêmes classes populaires qui contestent la mondialisation). La troisième stratégie est la seule viable à long terme mais aussi la plus courageuse. Elle consiste à reconnaitre et à anticiper les mutations à venir et à ajuster nos appareils productifs face à ces nouveaux impératifs plutôt que de nourrir les peurs identitaires. Cette stratégie passe notamment par des investissements massifs dans les systèmes d’enseignement et de formation continue et par une stratégie de réinvestissements industriels dans des secteurs qui peuvent être le socle de notre compétitivité future… Il ne reste plus qu’à espérer que nos démocraties européennes se soient suffisamment fait peur pour forcer le passage vers cette troisième voie en sautant la case protectionniste !