UE-USA : Je t’aime, moi non plus

Thomas Renard est chercheur à l’Institut Egmont et membre du Groupe du Vendredi.

Comme les relations diplomatiques évoluent rapidement. Dans quelques jours, le président américain Barack Obama sera en visite à Bruxelles, à l’occasion d’un sommet bilatéral entre l’UE et les Etats-Unis. Ce sera sa première visite dans la capitale européenne depuis sa prise de fonction, et l’occasion de célébrer les liens uniques qui unissent Bruxelles et Washington. Un grand jour, donc.

Pourtant, il y a quelques semaines encore, les relations entre l’Europe et les Etats-Unis semblaient au plus bas. Les révélations de l’ancien consultant américain Edward Snowden sur les pratiques d’écoute des gouvernements européens par les services de renseignement américains soulevaient une vague d’indignation. Angela Merkel, François Hollande et d’autres chefs de gouvernement européens « exigeaient des explications » sur des pratiques « inacceptables » qui « nuisent aux relations transatlantiques ».

Nouveau décor, nouvelle crise. Peu avant la chute du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, alors que toutes les chancelleries occidentales s’affairent ensemble à trouver une solution diplomatique au conflit, la Secrétaire d’état américaine aux affaires européennes, Victoria Nuland, jette un froid.

Lors d’une conversation privée – enregistrée à son insu – avec l’ambassadeur américain à Kiev, cette dernière propose une solution qui exclurait les Européens, en concluant par un cinglant et peu diplomatique « F..k the EU » (traduction : « On emmer.. l’UE »). Nouvelle indignation.

Et puis, revirement de situation. Cette même crise ukrainienne qui divisait hier encore les partenaires transatlantiques, les rapproche aujourd’hui. Face aux manœuvres hostiles de la Russie en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine, Américains et Européens font front commun pour condamner Moscou et, éventuellement, prendre des sanctions. Vladimir Poutine cherche à diviser l’Ukraine. Mais sans le vouloir, il est en train de ressouder plus solidement encore l’alliance transatlantique, contre lui.

Bien sûr, les relations transatlantiques ont toujours eu un caractère ambigu, voire ambivalent. Au rythme saccadé du « je t’aime, moi non plus », les partenaires se rapprochent et se reprochent mutuellement. Côté pile, on parle du partenariat stratégique indispensable, fondé sur une histoire, des valeurs et des intérêts communs. Ce partenariat est visible dans les échanges commerciaux notamment, où les deux pôles forment l’un des marchés les plus importants et les plus intégrés au monde. Et les négociations sur un ambitieux accord de libre-échange continuent. Ce sont également des alliés politiques et militaires, au sein de l’Otan, mais aussi et plus largement au sein du système multilatéral global qu’ils dominent largement ensemble. Côté face, on aime se critiquer, et des tensions viennent régulièrement attiser un certain anti-américanisme ancré sur une partie du continent. L’affaire Snowden ou Nuland en font partie. Pour leur part, les Américains sont souvent frustrés par l’indécision ou la lenteur des processus européens dans certains grands dossiers internationaux. Ces crises ne sont jamais profondes au point de rompre les liens, mais elles sont suffisament récurrentes pour maintenir une petite dose de méfiance et de remise en question mutuelles.

De manière paradoxale, les aspects les plus négatifs de la relation transatlantique peuvent apparaître les plus bénéfiques sur le long terme. Par exemple, les tensions liées à la guerre en Irak de 2003 ont poussé les Européens à se questionner sur leur rôle en tant qu’acteur global, et à développer une certaine autonomie stratégique vis-à-vis des Américains au travers d’une politique étrangère et de défense communes. Dix ans plus tard, les crises successives dans le monde arabe, en Syrie, et en Ukraine ont rappelé aux Européens que cette autonomie stratégique devait demeurer plus que jamais un objectif à atteindre. Le printemps arabe avait entrainé une remise en question de la politique de voisinage de l’UE. Aujourd’hui, la crise ukrainienne force les Européens à se repositionner plus fondamentalement encore dans leur voisinage, mais aussi face aux grandes puissances qui y défendent activement leurs intérêts, Russie en tête. Le développement d’une Europe plus forte sur la scène internationale doit être un projet européen avant tout. Mais ce projet doit être soutenu ouvertement par Washington, car les Américains ont besoin d’un allié puissant et crédible en Europe, pour maintenir la paix et la stabilité sur le continent et dans son voisinage. D’autant plus à l’heure où Washington se tourne vers l’Asie et le Pacifique.