La crise des réfugiés crée-t-elle des citoyens de second rang?

Aline Buysschaert travaille en tant qu’associate pour un fonds d’investissement social et est membre du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 24 février 2017.

Theo Francken, Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, a été élu politicien de l’année en Flandre. Alors qu’il multiplie les décisions qui diminuent les droits des étrangers afin de faciliter le maintien de “l’ordre public et de la sécurité nationale”, sa popularité ne cesse de grandir. C’est d’autant plus inquiétant que les dispositions prises par le Secrétaire d’Etat Francken se situent parfois en dehors de tout cadre légal et n’hésitent pas à bafouer certains grands principes du droit belge. Une pratique qui ne semble pas gêner, et qui doit être dénoncée.

La crise des réfugiés en 2015 a créé une situation d’urgence face à laquelle ni l’Europe ni la Belgique n’étaient préparées. Cette même année, 1,3 millions de migrants ont déposé une demande d’asile au sein de l’Union européenne. En Belgique, il y a eu plus de 35.500 demandes d’asile en 2015, soit le double de 2014.

Face à cette situation, le gouvernement belge a pris un certain nombre de décisions non-encadrées par la loi. C’est le cas du « pré-enregistrement », pratique via laquelle l’Office des Etrangers limite le nombre d’enregistrements de demandes d’asile par jour, n’enregistrant donc pas automatiquement les demandes d’asile au moment où celles-ci sont sollicitées. L’ironie est que sans enregistrement de sa demande, le demandeur d’asile se voit refuser son droit à l’accueil, y compris le droit au logement. Dans ce contexte de crise, le Secrétaire d’Etat Théo Francken a également mené des campagnes de dissuasion en communiquant directement avec les demandeurs d’asile - droit reconnu à Fedasil -, les encourageant à ne pas introduire de demande d’asile ou d’opter pour un retour volontaire. En témoignent les lettres de dissuasion subjectives et incomplètes envoyées aux Afghans et Irakiens entre autres, alors que ce sont ceux-là même - avec les Syriens - qui ont le plus besoin de bénéficier de notre protection.

Ces pratiques garantissent-elles le respect des droits des étrangers ? Dans son rapport publié en juin 2016 « Refugees welcome? Etat des lieux et recommandations sur le parcours des demandeurs d’asile en Belgique », le Groupe du Vendredi avait déjà recommandé qu’une demande d’asile ouvre immédiatement un droit à l’accueil tel que prévu par la loi. Si le Secrétaire d’Etat Theo Francken juge cette loi inadaptée, il devrait introduire un proposition d’amendement à la loi plutôt que de décider d’agir en dehors du cadre de celle-ci.

Tout récemment, le 9 février 2017 dernier, un nouveau projet de loi du Secrétaire d’Etat Theo Francken est passé à la Chambre. Si Theo Francken décide cette fois d’agir au sein du cadre législatif, il est toutefois suspecté de contourner la Constitution. En effet, le projet de loi permet d’expulser - sans procès - des personnes de nationalité étrangère en séjour légal et ayant parfois vécu toute leur vie en Belgique. Cela signifie qu’il suffirait d’un simple soupçon - et non d’une condamnation - de menace à l’ordre public ou la sécurité nationale pour expulser une personne de nationalité étrangère qui a grandi en Belgique, faisant fi du principe de présomption d’innocence inscrite dans la Constitution belge. A travers cette loi, deux personnes nées en Belgique se voient appliquer des droits différents en raison du seul critère de leur nationalité, créant ainsi des citoyens de seconde zone. Cette mesure n’agrandirait-elle pas le fossé en Belgique entre ressortissants étrangers en règle de séjour et ressortissants belges?

En outre, l’efficacité de ce projet de loi est loin d’être démontrée, contrairement à ce que prétend le Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration. En effet, simplement expulser les personnes qui représentent réellement un danger pour notre sécurité nationale n’est pas une solution: ce n’est pas parce qu’on se retrouve dans un autre pays qu’on cesse d’être une menace pour la Belgique. Une attaque terroriste effectuée en Belgique peut avoir été organisée en dehors de notre pays. Plutôt que d’être expulsées, ces personnes devraient être jugées et enfermées si tel est le verdict à l’issue du procès auquel elles ont droit.

De manière plus générale, nous invitons le Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration à respecter les droits octroyés aux ressortissants étrangers tout en travaillant au maintien de la sécurité nationale et de l’ordre public. En 2016, le nombre de demandes d’asile était au plus bas depuis 2009, principalement dû à l’accord signé entre la Turquie et l’Europe qui force les migrants à prendre des routes de plus en plus dangereuses pour atteindre l’Europe. Alors qu’au regard de la situation géopolitique mondiale, les pressions migratoires ne cessent de s’accroitre, il est important que notre gouvernement travaille dans le cadre établi par la loi et la Constitution, en utilisant - pour atteindre l’objectif qu’il dit poursuivre - des moyens non-discriminatoires.