Pensions : ambition et expertise font apparemment bon ménage

Laurent Hanseeuw, economiste chez Cushman&Wakefield et à l’ULB. Co-auteur d’un rapport sur les pensions publié par le Groupe du Vendredi, dont il est membre. L’auteur s’exprime à titre personnel.

Suite aux réformes des pensions introduites sous le gouvernement aujourd’hui en affaires courantes, le ministre en charge et la ministre des Indépendants ont mis sur pied en avril 2013 une commission pour la réforme des pensions à l’horizon 2020-2040, composée d’experts de toutes tendances politiques. En d’autres mots, le gouvernement reconnaissait, dès après sa réforme, que celle-ci était insuffisante et que d’autres devraient suivre. A un an des élections, et sans accord au sein du gouvernement sur d’autres réformes, il semblait inadéquat de lancer un débat politique sur la question. « Encommissionnons » donc.

Initialement, cette commission devait soumettre ses propositions au début de cette année. Un timing idéal afin de permettre au débat sur l’avenir du système des pensions de se situer au centre de la campagne électorale. Hasard ou non, le retard s’est accumulé et le rapport a été reporté après les élections. Au regard de la pauvreté de contenu du programme des partis à l’égard des pensions, cela a dû en arranger quelques-uns. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que les politiques prennent le pas sur la politique. Soit.

Trois petites semaines après les élections, voilà que nos professeurs dévoilent enfin le précieux sésame. Vu le contexte politique, on aurait pu sérieusement craindre un message indolore habillé dans des effluves techniques. Heureusement, ils nous ont épargné ce fiasco. Leurs propositions sont certes étayées de toutes les analyses et statistiques nécessaires. Mais le rapport est également on ne peut plus clair sur les changements fondamentaux que le système doit arpenter.

Tout d’abord la transparence. Même en créant un système soutenable, financé à long terme et résistant au choc, si personne n’y comprend rien et que les règles sont opaques, il s’agit d’un système déficient. Les pensions sont basées sur la confiance et l’adhésion de générations à long terme. Pour cela, il ne suffit pas que le système soit résistant mais également que les gens soient convaincus qu’il le soit et qu’ils puissent visualiser leurs contributions et leurs futurs droits. En plaçant cet objectif en première priorité, la commission n’est pas tombée dans « l’expertite aiguë » et s’est attelée à l’essentiel. La proposition centrale, instituant un système à points, convertible en droits de pension (ou en revenus mensuels si l’on préfère) une fois atteint l’âge de la retraite répond à cet objectif. Par ailleurs, en fonctionnant sur une base de points (et non en montants nominaux en euros), il laisse la marge de manouvre indispensable à des réformes continues du système en cours de route (la conversion de points en revenus).

Simple et intelligent.

Ensuite l’équité. La direction est à nouveau la bonne. « Toute différence d’âge pour l’accès à la pension doit pouvoir être justifiée de manière objective. » On applaudit. Sauf qu’on ne se serait pas limité à la question de l’âge de la pension (ou d’éventuelle prépension). Il est difficile de ne pas percevoir une grande prudence politique dans les propositions. Pas d’harmonisation des régimes légaux. Les fonctionnaires, employés et indépendants garderont donc des contributions et droits différents (le même système de points mais convertis différemment). Pourquoi ? Les fonctionnaires (statutaires) n’ont pas accès au pilier de capitalisation. Ils proposent pourtant l’ouverture d’un pilier de capitalisation pour les fonctionnaires contractuels (car eux n’ont pas les mêmes droits de pension que les statutaires) et défendent le principe qu’une combinaison entre capitalisation et répartition est une diversification utile. Rien n’empêchait donc une harmonisation des piliers de capitalisation (généralisation pour tous) et répartition pour tous les travailleurs. A terme bien sûr, et sur base d’une mise en ouvre sur plusieurs décennies. Il semble que la fusion des trois systèmes était leur pont trop loin. Néanmoins, ils pointent justement l’iniquité dans les piliers de capitalisation (second et troisième piliers). Il n’est pas logique que le capital accumulé soit taxé au même taux au moment de la retraite alors que certains ont juste pu épargner de quoi vivre modestement et d’autres touchent le pactole (précédemment déductible) pour leurs vieux jours.

Et finalement la durabilité financière du système. Tout le monde savait déjà que la situation actuelle n’est pas soutenable et nos experts soumettent des nouvelles projections qui le confirment. Ils préconisent donc – comme presque tout le monde, il semble – un allongement des carrières et un décalage de la pension à 67 ans (62 ans pour les prépensions et 44 ans de carrière) tout en laissant une flexibilité pour ceux qui veulent, moyennant une perte financière. Cette proposition et ce choix sont tout à fait respectables. Il n’empêche qu’il s’agit partiellement d’un choix politique. En résumant, l’insoutenabilité financière actuelle du système implique qu’il faille soit augmenter la durée des carrières (et donc repousser l’âge de départ à la pension), soit diminuer le revenu des pensionnés, soit augmenter les contributions et/ou l’épargne individuelle durant la carrière (Ou encore une combinaison de l’une de ces trois options). Il est évident que diminuer le revenu des pensionnés n’est un choix politique ni souhaitable, ni réaliste. Augmenter les cotisations sociales ou patronales n’est pas vraiment à l’ordre du jour étant donné les problèmes de coût du travail dont souffre notre pays. Et se contenter de préconiser une épargne individuelle plus importante relève d’une sensibilité sociale atrophiée. D’où l’allongement des carrières. Mais nos professeurs auraient dû plus clairement indiquer qu’il s’agit d’un choix politique et non le résultat d’une expertise. C’est à la population qu’il revient de trancher cette question. Et insinuer qu’il n’existe aucun choix est fallacieux et tend à accroître les tensions sur ce débat, plutôt qu’à présenter plus clairement les alternatives, et leurs conséquences certes négatives.

En résumé, le rapport n’est pas immunisé contre la critique mais il présente une contribution positive à un débat essentiel. Il est dès lors déplorable que notre immaturité politique l’ait fait se publier quelques semaines trop tard.