L’Epouvantail d’une scission qui n’aura pas (vraiment) lieu (L’Echo - 18/10/2013)

A la sortie du traumatisme que fut la faillite de Lehman Brothers et, plus près de chez nous, la débâcle de Fortis et de Dexia, l’ensemble des décisionnaires s’accordaient sur la nécessité d’une refonte radicale de notre système financier. RWA, LCR, NSFR, CRDIV. Les acronymes indigestes se sont rapidement égrenés le long des pages de quotidiens du monde entier. Mais tout indispensable que ces nouvelles règles puissent être, elles ne constituaient pas, pour beaucoup, le cœur d’une réforme copernicienne du secteur. Pour cela, il fallait scinder les banques. A l’image de ce qui avait été fait pendant la crise des années trente, les banques de détail, récoltant des dépôts et octroyant des prêts, devaient être séparées des banques d’investissement qui opèrent des activités de marché, que ce soit en propre ou pour le compte de clients. Notre pays n’a pas fait exception et le Parlement a rapidement demandé à la Banque Nationale d’établir un rapport en ce sens… Sans se douter que cette dernière n’irait pas dans ce sens, provoquant l’ire de nombreux députés.

Chacun attend maintenant cette proposition de loi sur la réforme bancaire que le ministre des finances va bientôt soumettre au Kern. A l’heure actuelle, hormis quelques informés en haut lieu, nul ne sait ce qu’elle contiendra. Mais sauf surprise, une scission radicale des banques n’est définitivement pas à l’ordre du jour. Vu qu’un vice-premier socialiste ne considère déjà plus qu’il faille les séparer en sociétés distinctes (voir L’Echo du 12/10), on connaît déjà la portée maximale de la réforme (sauf à considérer qu’un libéral se fasse soudain le pourfendeur des banquiers). Il y a évidemment des bonnes et moins bonnes raisons de scinder les banques. Mais l’obsession accordé à ce dossier emblématique, du à la tournure qu’à pris cette crise financière, particulièrement en Belgique, nous aura peut-être écarté des éléments les plus fondamentalement à la source des crises financières.

LE NEZ DANS LE GUIDON

La médiatisation des scandales liés à la finance internationale (Libor, Madoff, Kerviel, etc.) a cristallisé dans nos esprits la différence qui pouvait exister entre banque de détail, incarnation du métier utile à la société et banque d’investissement, casino géant dont le caractère nuisible ne doit plus être démontré. En faisant fi de l’éventuel jugement moral que l’on peut porter sur ces métiers, on semble avoir oublié que de nombreuses crises financières sont provoquées par des banques de détail. En Europe, la situation catastrophique du système bancaire espagnol n’est pas le fait de traders peu scrupuleux mais de banques de détail locales, ayant prêtées sans vergogne à de trop nombreux projets immobiliers. L’une des plus grandes crises bancaires aux Etats-Unis, la crise des savings & loans à la fin des années quatre-vingts, est le fait d’une multitude de banques de dépôts, et aurait couté la modique somme de 125 milliards de dollars aux contribuables américains. Présenter l’appât du gain et la sous-estimation du risque comme une exclusive des banques d’investissement, revient à être singulièrement naïf quant au propre de la nature humaine.

SKY IS NOT THE LIMIT

Au cœur des volontés de réformes, se trouve l’idée qu’il faut empêcher que l’argent du contribuable soit à nouveau englouti par les banques. En scindant les banques, la garantie que l’Etat offre sur les dépôts des particuliers ne pourra plus être utilisée pour se lancer dans des activités spéculatives. Le problème de ce raisonnement est que cette crise a montré que même des « pures » banques d’investissement ne pouvaient pas non plus être laissées en faillite (cfr Lehman). Quelque soit la nature d’une institution, en laissant une banque atteindre une telle taille en rapport avec l’économie où elle exerce son activité, sa faillite entraîne des conséquences cataclysmiques, qu’elle soit universelle ou pas. Dexia n’est, aujourd’hui, plus une banque de détail mais le risque qu’elle fait planer au-dessus de nos têtes est énorme. Tant qu’il reviendra au contribuable belge de payer pour des banques s’écroulant sur son sol, il est rationnel pour notre pays de limiter la taille de nos institutions, quelle qu’en soit leur nature.

Cela n’est pas pour autant une plaidoirie contre une éventuelle scission. Certains arguments tels que la transmission d’une culture inadaptée aux banques de détail ou l’interdiction d’utiliser du financement subsidié (les comptes d’épargne) pour certaines activités que la société juge inutile fait du sens. Mais le caractère symbolique du dossier nous a détournés de ce qui doit être au cœur d’une législation bien pensée. Pour les banques – comme pour bien d’autres choses d’ailleurs – trois volets doivent retenir notre attention : la prévention, la lisibilité et la résolution. La prévention passe par un niveau élevé de fonds propres en regard des risques pris afin que lorsqu’un événement soudain se passe, l’institution puisse encaisser le choc, fut-il de grande magnitude. A ce titre, la Belgique n’a fait nulle mention, à ce stade, de dispositions plus strictes que ce que les règles internationales n’imposent, au contraire de la Suisse ou du Royaume-Uni. La lisibilité impose à chaque régulateur, qui agit au nom des électeurs, de comprendre l’ensemble des activités d’une banque et de ces produits et de pouvoir les présenter au Parlement, qui nous représente. La situation où une activité n’est plus parfaitement comprise ni par le banquier, ni par le régulateur et donc, à fortiori, pas par nos représentants, ne peut plus être tolérée. Finalement vient la résolution. Tout comme il est évident qu’il y aura toujours des crimes commis, des crises bancaires auront encore lieu. Notre appareil législatif et judiciaire doit être adapté à cette réalité. On ne peut se satisfaire d’attendre qu’un accord européen se dégage sur la résolution des banques. Il faut que l’on s’assure de la « bonne » répartition des pertes en cas de crise bancaire entre actionnaires en premier lieu, prêteurs informés en deuxième et contribuable en dernier ressort. Un arsenal judiciaire transparent doit se charger de punir les banquiers ayant failli à leur mission de manière objective.

En concentrant le débat sur le sujet de la scission des banques, quand bien même souhaitable celle-ci pourrait être, on détourne notre attention de la vraie ambition que l’on doit se donner. Prévenir adéquatement un problème, et le résoudre s’il survient, sont la base d’une approche avisée. Ne laissons pas un épouvantail nous en détourner.