La réforme de la PAC 2013: La Grande (dés-)illusion? (L’Echo – 21/02/2014)

La nouvelle sera passée presqu’inaperçue: une Politique Agricole Commune (PAC) revisitée entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Si agriculture et “modernité” n’ont pas toujours fait bon ménage dans l’histoire de nos sociétés industrialisées, il est grand temps de suivre de plus près l’avenir d’une politique qui, aujourd’hui encore, reste au cœur du projet européen. La grande complexité qui caractérise cette politique (et ses réformes), ainsi que la relative obsolescence que certains souhaiteraient lui attribuer, contribuent à la rendre très difficile d’accès. Opacité volontaire ou naturellement liée à plus de 50 ans d’histoire?

Si l’on considère la part qu’occupe l’agriculture dans notre économie européenne en termes d’emplois par exemple (plus ou moins 5% de l’emploi total en 2010), ce manque de visibilité n’est peut-être pas si étonnant. Ce qui est plus surprenant par contre, c’est qu’en pleine période d’austérité budgétaire, nous n’ayons pas eu les yeux davantage rivés sur les 373 milliards 179 million de la PAC, et la manière dont ils seront distribués au cours des sept prochaines années (2014-2020). Sans parler de l’actualité particulièrement favorable à l’ascension des questions agricoles et alimentaires sur l’agenda politique: envolées des denrées alimentaires en 2007-08, crise des producteurs laitiers en Europe en 2009 et scandales en tous genres le long de la chaîne d’approvisionnement.

Des événements qui ont justement coïncidé avec le début des négociations sur la réforme de la PAC (qui s’est étalée sur la période 2010-2013); de quoi donner assez de motivations au législateur européen pour réformer en profondeur une politique en pleine crise de légitimité, non?

La grande réforme, ce sera pour une prochaine fois.

En réalité, dès 2008, les appels pour une vraie réforme de la PAC se firent entendre. De la suppression totale des subventions agricoles, au retour à plus d’intervention sur les marchés agricoles (pour contrer par exemple les effets de leur financiarisation), en passant par une redéfinition fondamentale des critères d’attribution des aides (par exemple environnementaux), les pistes de changement étaient nombreuses et les attentes immenses. Parmi toutes les options sur la table, il semblait y avoir un consensus sur la nécessité de mettre fin, une bonne fois pour toutes, aux effets les plus pervers de la PAC (surtout en matière environnementale et en matière de distribution des aides). Tous les éléments d’une constellation pro-réforme étaient d’ailleurs présents: une crise économique sans précédent et une perte de foi dans les solutions préconisées au cours des années 1990s-2000s, un nouveau Commissaire en charge de l’Agriculture (le Roumain, Dacian Ciolos), et, cerise sur le gâteau, la première participation du Parlement européen au processus législatif de la réforme. En rebattant les cartes du jeu européen, ce dernier élément était indiscutablement porteur d’un réel potentiel de changement.

Alors que pendant 50 ans, l’avenir de la PAC reposait exclusivement entre les mains de la Commission européenne et celles du Conseil des Ministres de l’Agriculture, pour la première fois, les représentants politiques des citoyens européens avaient voix au chapitre (le Traité de Lisbonne ayant élargi la procédure de “co-décision” à la PAC). On prédisant au Parlement européen un grand rôle dans cette réforme: qu’il marquerait la PAC d’une empreinte progressiste en incluant des intérêts en dehors des sphères traditionnelles, essentiellement corporatistes et agricoles (par opposition à alimentaires, qui recouvrent également les intérêts des consommateurs).

Projection naïve? Rapidement, une certaine désillusion s’empara des observateurs qui avaient placé dans le Parlement européen, les espoirs d’une grande réforme (par opposition au changement incrémental qui a caractérisé la plupart des réformes de la PAC). La réalité politico-économique du processus de négociation aura eu raison des grands discours révolutionnaires.

Il y a néanmoins un point sur lequel le Parlement européen aura sauvé la face: le maintien du “verdissement” de la PAC, véritable cœur de la réforme qui vise à lier les aides à davantage de critères environnementaux. Même si ce nouvel outil a été affaibli au fil des négociations, il existe toujours; ce qui représente une victoire non-négligeable face à la grande réticence du Conseil des Ministres et l’inhérente résistante au changement de la PAC.

La PAC hantée par son passé

Née à la fin des années 50s, la PAC a d’abord encouragé l’émergence d’un modèle agricole industriel et intensif pour assurer la sécurité alimentaire d’une Europe affamée au sortir de la deuxième guerre. Depuis lors, les besoins des Européens ont largement évolué et la PAC aussi, même si elle reste encore largement marquée par son histoire. Résultat : en favorisant pendant des décennies l’intensification et l’industrialisation de l’agriculture, la PAC rend aujourd’hui la transition vers un autre modèle, plus en phase avec les priorités du 21e siècle, très difficile.Alors que les indicateurs en faveur d’un changement de cap ne pourraient être plus clairs : les subventions élevées n’ont pas permis de contrer la chute de l’emploi agricole en Europe, l’intensification de l’agriculture a appauvri le sol dans certaines zones au point de ralentir la croissance des rendements et l’industrialisation à outrance a rendu les producteurs complètement dépendants des pesticides et engrais artificiels (et donc des énergies fossiles). Des travers qui se répercutent aussi jusqu’au consommateur pour qui il est moins cher d’acheter une lasagne à la viande de cheval (pourtant étiquetée 100% bœuf), qu’un steak bio dont la production a coûté nettement moins cher en termes sociaux et environnementaux.

Si la réforme de la PAC 2013 n’a fait qu’amorcer très légèrement la transition vers un autre modèle, certains acteurs se sont entre temps déjà mis en marche. L’agriculture biologique par exemple – qui remet en cause quelques grands piliers de l’agriculture conventionnelle – progresse partout en Europe et représente dans certains pays jusqu’à 20% des exploitations.

Et ça bouge en zone urbaine aussi, où la déconnection totale des populations par rapport à leur source d’alimentation apparait de plus en plus comme une aberration. On comprend mieux pourquoi de nombreux citadins se lancent aujourd’hui dans la gestion de potagers collectifs, participent à des groupements d’achats solidaires ou se réinventent agriculteurs urbains : changer de système alimentaire est ressenti comme la première étape d’un changement potentiellement beaucoup plus large.

Un loisir de « Bobos » ? Pas vraiment si on prend en compte les estimations d’une étude de 2013 (Facultés Universitaires Saint Louis et Greenloop) qui révèle un vrai potentiel de création d’emplois pour l’agriculture urbaine : jusqu’à 6000 pour Bruxelles ! De quoi donner encore plus envie de manger «bio, local et de saison » et préparer de nouvelles priorités pour la prochaine réforme de la PAC en 2020.

Écrit par

  • Louise Knops

    Louise Knops

    Louise Knops is onderzoekster bij denktank CEPS, medewerkster van Europarlementslid Philippe Lamberts en lid van de Vrijdaggroep