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La (dé)croissance pour le climat?

Le mouvement écologique est divisé. Partisans de la « décroissance » veulent renoncer au culte de la croissance pour endiguer le changement climatique. Les adeptes de l’« écomodernisme » y voient une condition indispensable pour l’éviter. Optons pour pour une voie médiane.

Le mois dernier, le gouvernement fédéral a nommé Géraldine Thiry, professeure d’économie bruxelloise de tendance Ecolo, au comité exécutif de la Banque nationale de Belgique. Cette nomination a causé tout un émoi. La Banque nationale est toutefois politisée depuis longtemps. La particularité de cette nomination, c’est qu’elle amène à la tête de la banque centrale un partisan affirmé de la « décroissance ».

Le terme degrowth (décroissance) apparaît pas moins de 28 fois dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les économistes de la décroissance estiment que la croissance économique est nuisible à notre planète. Selon eux, la résolution de l’urgence climatique passe par la réduction drastique de nos émissions de CO2 et de la consommation excessive d’énergie et de matières premières. La décroissance entend mettre l’accent non plus sur la maximisation du PIB, mais sur celle de la durabilité et des énergies renouvelables.

Il y a là une part de vrai : la surconsommation se fait souvent aux dépens de notre planète. La demande incessante en biens de consommation peu durables a un impact significatif sur le climat et l’environnement. Avons-nous réellement besoin d’un nouveau smartphone tous les 18 mois ? Devons-nous vraiment refaire notre garde-robe à chaque période de soldes ? Une société tournée vers la gratification instantanée, où tout est disponible en un clic de souris, n’est pas un modèle de durabilité.

Jason Hickel, anthropologue économique à la London School of Economics et l’un des fers de lance de la décroissance, plaide par exemple en faveur de l’imposition aux fabricants de délais de garantie plus longs, dans le but d’allonger la durée de vie des produits que nous consommons. De telles mesures à effet rapide permettraient de réduire le gaspillage et de promouvoir l’importance d’habitudes de consommation plus modérées.

Pourtant, la décroissance ne semble guère viable sur le plan politique. Le politicien qui demanderait aux citoyens de consommer moins ne doit pas s’attendre à récolter des applaudissements. Le ton souvent pédant et apocalyptique des adeptes de la décroissance a en outre un effet dissuasif. Un réaménagement en profondeur de notre appareil économique nécessiterait également une augmentation massive de l’intervention publique. Dans un pays comme la Belgique, déjà grevé par la bureaucratie et d’énormes dépenses publiques, la chose ne semble ni souhaitable ni réaliste.

La décroissance se heurte souvent à l’écomodernisme, dont les adeptes prônent la « croissance verte ». Leur conviction : la croissance économique, les innovations technologiques et l’ingéniosité humaine sont les clés d’un avenir écologiquement durable. Selon eux, les technologies de réduction des émissions telles que la capture et le stockage du carbone permettraient de contrecarrer les émissions de CO2. L’osmose inverse, un système de purification d’eau basé sur la filtration membranaire, permettrait de produire de l’eau pure en grandes quantités. Les petits réacteurs modulaires (PRM), pour leur part, permettraient de garantir une production efficace et à grande échelle d’électricité à faible émission de carbone, et sont dès lors considérés comme l’énergie nucléaire du futur. L’agriculture de précision contrôlée par des drones permettrait d’empêcher la sous-fertilisation et la surfertilisation, et assurerait des récoltes plus efficaces. De nombreux écomodernistes, enfin, brandissent des études démontrant que de nombreux pays connaissent une croissance économique tout en stabilisant, voire en réduisant la consommation d’énergies fossiles.

Il nous faut trouver un juste milieu. Les tenants de la décroissance accusent à juste titre la surconsommation et la surutilisation des énergies fossiles. La réduction du PIB et l’imposition manu militari d’un mode de vie radicalement différent aux citoyens ne constituent pas des alternatives viables. Une économie qui ne croît pas est une économie qui stagne et étouffe l’innovation. Les technologies intelligentes permettant une utilisation plus efficace des ressources naturelles et une réduction des émissions de CO2, en revanche, sont plus que jamais nécessaires.

Adeptes de la décroissance et écomodernistes doivent s’accorder sur au moins une chose : si nous voulons prévenir les pires effets du changement climatique, nous devons réduire les émissions de CO2 de 45 % d’ici 2030 au plus tard. La résolution de la question climatique représente donc une tâche titanesque. La durabilité et la croissance économique jouent à cet égard un rôle clé. Les deux camps doivent impérativement se départir de leur rigidité idéologique. Il reste à espérer qu’une institution aussi importante que la Banque nationale de Belgique parviendra également à se maintenir au-dessus du tumulte idéologique.

Cet article est publié sur L'Echo.be le 3/2/2023