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Interpréter à court terme les chiffres du marché de l’emploi : pas mieux qu’une boule de cristal

Thomas Dermine est économiste, entrepreneur et membre du Groupe du Vendredi. Cette carte blanche est aussi parue dans L’Echo du 29 juillet 2016

Un professeur d’économie bien connu à l’ULB avait pour habitude de commencer chacune de ses conférences en citant John Kenneth Galbraith : « La seule fonction de la prévision économique, est de rendre l’astrologie respectable ». Si cela est vrai, alors parmi l’ensemble des économistes, ceux qui analysent le marché de l’emploi belge ne sont certainement pas meilleurs que certains diseurs de bonne aventure.

Ces dernières semaines, plusieurs statistiques sur le marché de l’emploi ont été publiées que ce soit par le Bureau du Plan ou l’Institut des Comptes Nationaux (ICN). Et ces données ne sont pas mauvaises, surtout dans le contexte morose ambiant. Ce mardi 04 juillet par exemple, l’Echo titrait sur la baisse record du chômage wallon. Une baisse de plus de 9% en deux ans. Début juin, c’était au tour du gouvernement fédéral de se réjouir : plus de 65,000 emplois créés depuis la mise en place du gouvernement en octobre 2014.

Au plus ces chiffres sont bons, au plus la tentation est grande pour nos politiques de s’emparer de ces bonnes nouvelles en liant, de façon parfois triomphaliste, ces résultats avec leur action politique. Or, si un ensemble de politiques sociales ou fiscales peut évidemment avoir un impact sur le marché de l’emploi à long-terme, isoler les variations à court terme lié à une politique spécifique est un vrai casse-tête, même pour les économétriciens les plus sophistiqués. Et ce, pour trois raisons principales.

Premièrement, toute évaluation d’une mesure doit se faire sur base d’une analyse à politique inchangée du marché de l’emploi : « Quel aurait été l’évolution du marché de l’emploi sur la même période si la politique en question n’avait été menée par le gouvernement ? » Le marché de l’emploi évolue en effet autant en fonction de paramètres économiques externes qu’en fonction des politiques du gouvernement. Ceci est d’autant plus vrai pour une petite économie au cœur de l’Europe comme la Belgique. Il est n’est pourtant pas facile d’admettre pour un politicien belge certains événements internationaux, comme le Brexit où l’évolution du cours de certaines matières premières sur les marchés asiatiques, ont souvent plus d’impact sur l’emploi en Belgique que beaucoup de politiques menées au niveau régional ou fédéral. Peu de politiciens font aujourd’hui l’aveu de ce constat. C’est la base de la critique de la sp.a sur l’action du gouvernement fédéral, même si elle néglige que pour la première fois depuis 10 ans, la Belgique recrée des emplois dans le secteur privés : "Le Bureau du plan prévoyait en 2014, qu'à politique inchangée 65 900 emplois seraient créés en 2016. Michel I en offre mille en moins".

Deuxièmement, l’exercice est rendu encore plus complexe en Belgique où les leviers liés à l’emploi sont partagés entre différents niveaux de pouvoir. A supposer qu’une création d’emploi soit effectivement observée, il sera toujours difficile de dire cela est lié à une baisse de charge au niveau fédéral ou plutôt à une meilleure gestion des leviers de l’insertion professionnelle au niveau régional. Enfin, la prise en compte de certains effets dynamiques de réformes précédentes finit par tuer les derniers espoirs des économistes les plus chevronnés. Par exemple, aujourd’hui, il n’est évident pour personne de comprendre les effets de vase communiquant entre le marché de l’emploi et les récentes exclusions du chômage.

Tenter d’expliquer à court terme l’impact d’une mesure sur le marché de l’emploi relève donc souvent de la fantaisie. Les seules évaluations plus-au-moins fiables doivent être faites de manière très conservatrice et prudente sur une mesure précise. C’est le cas par exemple, de l’évaluation de l’impact de l'exemption partielle de cotisations patronales pour les entreprises créant un premier emploi, une des mesures phare de la réforme fiscale du gouvernement Michel. Cette évaluation menée par SD Works conclut que le nombre de jeunes entreprises ayant engagé pour la première fois un travailleur a grimpé de 25%, par rapport à la même période de 2015. Soit une création nette de 300 emplois. Mais cette création « explicable » de 300 emplois représente moins de 0.5% de la création totale de 65.000 emplois avancées par le gouvernement début juin. Et ce pour une des mesures phare du gouvernement fédéral …

En économie comme en astrologie, il faut donc mieux s’atteler à travailler sur les leviers durables de long terme plutôt que de se réjouir de la vision d’une boule de cristal à court terme. Sur le marché de l’emploi belge, au-delà de la compétitivité salariale et fiscale, les leviers de la croissance sont ceux liés au développement du capital humain : à l’enseignement pour donner à nos jeunes les clés de leur avenir et à la formation continue pour améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande de travail. Malheureusement, les effets de ces leviers, pourtant fondamentaux, ne pourront pas être lus dans les publications trimestrielles des chiffres du marché de l’emploi d’ici aux prochaines élections …