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« Climate quitting » : écologiser ou perdre la course aux talents

Bloomberg a lancé au début de cette année le néologisme « climate quitting », ce phénomène qui consiste à changer de carrière pour s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce phénomène touche également nos régions. Chez nos voisins du Nord, par exemple, le site Nu.nl a produit une série d’articles relatant l’histoire de personnes ayant quitté leur emploi chez Shell tambour battant pour rejoindre les activistes climatiques d’Extinction Rebellion. De sites tels que klimaatjobs.be et milieuvacatures.be jouissent par ailleurs d’une popularité grandissante.

La population active semble ainsi souhaiter faire partie de la solution au problème climatique. Ce ne sont certes pas les opportunités qui manquent. D’après l’Organisation internationale du travail des Nations Unies, la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat pourrait créer jusqu’à 18 millions d’emplois d’ici 2030, notamment dans le secteur des énergies renouvelables, de la culture de biomasse et de la construction durable.

Inutile toutefois de se bercer d’illusions. Nous ne deviendrons pas tous des techniciens éoliens ou des agriculteurs durables du jour au lendemain. La plupart d’entre nous continueront à travailler dans des secteurs sans lien apparent avec le défi climatique.

Il est néanmoins frappant de constater que, si elle ne peut pas faire partie de la solution dans son entièreté, la population active est de moins en moins disposée à travailler pour des entreprises qui contribuent de manière plus ou moins significative au réchauffement climatique. Une enquête KPMG (2023) menée auprès de 6 000 employés de bureau, étudiants, collégiens et jeunes diplômés britanniques vient confirmer le phénomène : un répondant sur cinq a ainsi déclaré avoir déjà refusé un emploi parce que les politiques ESG de son employeur potentiel n’étaient pas en adéquation avec ses valeurs personnelles. Un chiffre qui passe même à un sur trois pour les jeunes de moins de 24 ans.

Que la génération des marches pour le climat fasse de ces idéaux un élément capital de sa recherche d’emploi ne doit sans doute pas étonner, mais cette conviction est également partagée par les millenials. La même étude KPMG montre ainsi que pas moins de 55 % des 25-34 ans jugent important que leur employeur adhère à des valeurs ESG. Suivent non loin derrière le groupe des 18-24 ans (51 %) et celui des 35-44 ans (48 %).

Qu’est-ce que cela signifie pour les grandes industries polluantes ? Elles éprouveront à l’avenir, semble-t-il, de plus grandes difficultés à recruter. Le fait que tout le monde ne soit plus emballé à l’idée de travailler pour les supermajors n’est pas nécessairement une catastrophe en soi. Après tout, l’abandon progressif et définitif des combustibles fossiles est le seul moyen de protéger efficacement le climat. Mais il existe également d’autres secteurs polluants qui sont difficiles à décarboner et qui continueront à jouer un rôle majeur dans notre économie.

Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur la liste fournie par le SPF Économie en 2022 recensant les principaux produits exportés par les entreprises belges en 2021. Outre des produits issus de l’industrie chimique, on y trouve également des produits minéraux, tels que le ciment, l’acier et les plastiques. Autant de matières premières importantes sur le plan stratégique, par exemple pour la construction d’éoliennes sur terre et en mer.

Bref, même si nous ne pourrons pas faire l’impasse sur cette industrie lourde, le secteur devra néanmoins être à l’écoute des signaux en matière de changement climatique, a fortiori sur un marché de l’emploi particulièrement serré où les candidats à l’embauche bénéficient d’une plus grande liberté de choix. Selon des chiffres publiés par la Brookings Institution en 2014, la génération Y représentera 75 % de la main-d’œuvre aux États-Unis d’ici 2025, un pourcentage qui devrait être du même ordre dans notre pays. À mesure que notre sensibilité à la question climatique s’accroît et que les citoyens exigent des entreprises plus de transparence sur leurs ambitions climatiques, le risque est réel qu’à moins d’y mettre le prix, les secteurs polluants éprouvent de plus en plus de difficultés à attirer des talents.

Une bonne façon pour ces secteurs de continuer à attirer les jeunes talents serait de fixer des objectifs de décarbonation transparents et ambitieux. Leurs employés auront ainsi le sentiment de contribuer eux aussi à l’indispensable transition vers une industrie plus respectueuse du climat. Dans tous les cas, pour les entreprises cherchant à recruter, le message est clair : elles devront revoir leurs ambitions ESG à la hausse et prendre au sérieux le défi climatique. Pour le dire autrement : elle devront s’écologiser ou se résoudre à perdre la course aux talents.

Cet article est publié sur L'Echo.be le 26/2/2023