Citoyenneté, intégration et nation à Bruxelles (L’Echo - 04/10/2013)
Dans une interview donnée à la fin de la semaine dernière, le ministre flamand de l’intégration civique Geert Bourgeois se déclarait satisfait que le ministre-président Vervoort réfléchisse lui aussi à la possibilité d’organiser des cours d’intégration. Bruxelles suivrait ainsi l’exemple de la Flandre – qui, depuis 2002, organise une politique d’intégration civique – et de toute une série d’autres pays européens qui ont fait de même ces dernières années. Chaque fois, cette nouvelle politique a été annoncée avec enthousiasme comme une étape cruciale en vue de maîtriser la « crise de l’intégration » actuelle. Pourtant, je dois émettre quelques remarques critiques car un cours d’intégration civique n’est pas une panacée. Et, en tant qu’instrument politique, pas aussi neutre que certains le prétendent.
A cet égard, il est intéressant de se pencher sur l’histoire de la politique d’intégration civique. Les Pays-Bas et le Danemark ont été les premiers pays l’à introduire, à la fin des années 1990 avec un cours de langue, une forme d’accompagnement de carrière et un cours d’orientation sociale. Ce qui est frappant, c’est que ces deux pays ont progressivement donné un contenu de plus en plus « national » à ces cours d’intégration civique. Initialement, la politique d’intégration civique était avant tout d’inspiration pragmatique : proposer immédiatement un cours de langue aux nouveaux arrivants et les orienter dans la société et sur le marché du travail devait permettre de les « intégrer » plus rapidement. Depuis 2001, aussi bien les Pays-Bas que le Danemark ont ajusté leur politique, et l’accent a de plus en plus été mis sur l’aspect « national » de l’intégration. Les nouveaux arrivants étaient censés apprendre ce que c’est qu’être « néerlandais » ou « danois » – quoi que cela puisse signifier. Aux Pays-Bas, ils devaient même être testés sur leurs connaissances dans ce domaine afin de pouvoir obtenir un permis de séjour.
Bien entendu, ces changements sont éloquents quant à la philosophie sous-jacente des politiciens responsables. Toute politique visant à intégrer des personnes dans la « communauté » part d’une définition de ce à quoi devrait idéalement ressembler cette communauté. Dans ce sens, il est important de souligner que la politique d’intégration civique, du moins dans sa forme actuelle, s’appuie essentiellement sur l’idéal de l’État- nation ; les nouveaux arrivants ne pouvant être intégrés et faire partie de la communauté nationale qu’en suivant des cours axés sur la langue, l’histoire et les coutumes du pays.
Ce n’est pas par hasard si, aussi bien aux Pays-Bas qu’au Danemark, la politique d’intégration civique a été « nationalisée » à un moment où les partis nationalistes tels que la Liste Pim Fortuyn et le Folke Parti danois ont remporté les élections – respectivement en 2001 et 2002 – avec le slogan « l’intégration avait échoué ». À un moment où la population s’avérait clairement sensible à ce message, les partis traditionnels étaient sous pression pour formuler rapidement une réponse à ce « problème ». Cette réponse a été une politique d’intégration adaptée, orientée vers la nation. En obligeant les nouveaux arrivants à suivre un cours d’intégration civique « national », l’Etat voulait convaincre ses citoyens qu’il maîtrisait le problème et veillait à ce que la « nation » soit préservée.
Ces antécédents présentent également des enseignements intéressants pour notre pays, et pour Bruxelles en particulier. Encore une fois, j’ai l’impression que les décideurs politiques considèrent trop souvent la « politique d’intégration civique » comme une solution rapide. Comme un signal que le gouvernement s’emploie activement à résoudre la problématique de l’intégration et qu’il a la situation bien en main. Comprenez moi bien : je suis tout à fait favorable à la politique d’intégration. Bien sûr que les nouveaux arrivants doivent apprendre la langue et être aidés à s’orienter dans notre société. Mais la conduite d’une politique d’intégration civique ne doit pas devenir une excuse pour ne pas consacrer au moins autant d’attention à la mise en œuvre d’une politique d’intégration durable après que les nouveaux arrivants ont suivi un cours d’intégration civique. La réalisation d’une société intégrée nécessite un engagement mutuel à long terme, aussi bien de la part des nouveaux arrivants que du reste de la population.
Ce qui m’amène à une deuxième remarque. A quoi doit dès lors ressembler cette société ? Il me semble important que les décideurs politiques et le public prennent conscience de la focalisation sous-jacente sur la « nation » dans la politique d’intégration civique actuelle. Afin que nous puissions nous demander si nous avons de toute façon encore envie de nous cramponner à l’idée de la nation en tant que base de notre réflexion communautaire. La date de péremption du concept de nation n’est-elle pas dépassée dans un pays où peu de gens partagent encore une histoire, où plus d’une centaine de langues sont parlées et presque toutes les cultures du monde représentées ? Ne devrions-nous pas rechercher un nouveau concept de liaison ? Je suis d’ores et déjà convaincu qu’il n’est pas nécessaire de partager un passé pour écrire ensemble un futur.