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Bruxelles tourne le dos aux personnes en situation de handicap

Bruxelles met fin cette année au Budget d’Assistance Personnelle (BAP) destiné aux personnes en situation de handicap, invoquant la longueur excessive des listes d’attente. Si les difficultés budgétaires de notre capitale ne sont un secret pour personne, il est inacceptable que ce soient les plus vulnérables qui en fassent les frais, tandis que des millions d’euros continuent à être dilapidés ailleurs, écrit Thibault Viaene, co-président du Groupe du Vendredi.

Le BAP permettait aux personnes en situation de handicap d’organiser leurs soins selon leurs besoins, grâce à un budget dédié. Faute de moyens financiers, Bruxelles a décidé de supprimer ce projet, replongeant ces personnes dans une époque où elles n’avaient que peu, voire aucun contrôle sur l’organisation de leur accompagnement.

Il y a à peine deux décennies, la réalité pour les personnes handicapées et leurs proches était d’une dureté implacable. Ceux qui avaient besoin d’aide atterrissaient presque automatiquement sur une liste d’attente. Quant aux rares élus à pouvoir être pris en charge dans une institution, ils étaient contraints de quitter leur foyer, leurs proches et leur environnement familier. A l’époque, les personnes handicapées étaient souvent perçues comme des « charges » à écarter de la société, dans un système qui privilégiait la ségrégation à l’inclusion.

Ces dernières années, un changement de paradigme s’est amorcé. Si les institutions ont longtemps été la norme, l’idée de désinstitutionnalisation gagne du terrain. Bien que leur travail soit précieux, elles ne constituent pas toujours la solution la plus adaptée pour chaque personne en situation de handicap. La priorité est désormais donnée à l’inclusion, à l’autonomie et à une participation pleine et entière à la société. Les soins tendent à s’adapter aux besoins spécifiques de chacun, reconnaissant enfin les personnes en situation de handicap non plus comme de simples bénéficiaires de soins, mais comme des citoyens à part entière, dotés de droits égaux.

Le financement personnalisé joue un rôle clé dans cette transformation. Son principe est simple: les personnes handicapées reçoivent un budget leur permettant d’organiser elles-mêmes leurs soins. Elles peuvent ainsi choisir les services dont elles ont besoin, décider du lieu où ils sont dispensés – à domicile, en institution ou une combinaison des deux – et sélectionner les prestataires. Cette liberté de choix renforce leur autonomie et leur estime de soi, leur permettant ainsi d’organiser leur vie selon leurs propres aspirations.

Grâce au financement personnalisé, l’inclusion devient une réalité tangible. Les personnes en situation de handicap peuvent continuer à vivre chez elles, au coeur de leur communauté, entourées de leurs proches. Elles ont désormais accès à des activités sociales, culturelles et professionnelles qui leur étaient autrefois inaccessibles. Cette évolution démontre que l’inclusion n’est pas un idéal lointain, mais une possibilité concrète et accessible à tous.

Tant en Flandre qu’en Wallonie, un financement personnalisé permet aux bénéficiaires de mieux contrôler l’organisation de leurs soins. Ces régions ont franchi des étapes majeures vers la désinstitutionnalisation. Bruxelles avait également fait un pas dans cette direction en introduisant le Budget d’Assistance Personnelle (BAP) en 2007. Pourtant, il a été décidé aujourd’hui de mettre un terme à cette avancée. Cela nous enseigne trois choses.

Tout d’abord, les personnes en situation de handicap sont victimes de la répartition complexe des compétences à Bruxelles. Pour éviter les financements doublons, la Flandre interdit l’utilisation de son budget personnel dans des établissements relevant de la Commission communautaire commune (COCOM) ou de la Commission communautaire française (COCOF). De son côté, bien que la COCOM soit légalement compétente pour octroyer un budget personnalisé, elle a choisi de ne plus le faire. Résultat : des personnes vulnérables se retrouvent le cul entre deux chaises. Celles bénéficiant d’un budget flamand ne peuvent pas accéder aux établissements gérés par la COCOM ou la COCOF, tandis que celles reconnues par ces institutions ne peuvent prétendre à un financement. Cette situation illustre une fois de plus comment notre architecture institutionnelle, véritable "bric-à-brac", entrave la mise en œuvre d’une politique efficace et adaptée.

Ensuite, il est de notoriété publique que Bruxelles est au bord du gouffre financier, mais il est révoltant que les personnes en situation de handicap en fassent les frais. Pendant ce temps, des millions d’euros disparaissent dans des projets de prestige dispendieux et des structures politiques surdimensionnées et opaques. Bruxelles consacre sans difficulté 44 millions d’euros par an au Kanal-Centre Pompidou, , 25 millions d’euros par an à des cabinets ministériels et des milliards à une ligne de métro -. Mais lorsqu’il s’agit de financer les besoins essentiels des personnes handicapées ? Pas un centime.

Enfin, bien que le projet BAP à Bruxelles ait été relativement modeste (environ 250 personnes, composées de détenteurs de budget et de personnes sur la liste d'attente, seraient impactées), sa suppression envoie un signal des plus préoccupants. Cette décision va à contre-courant des évolutions observées dans le reste du pays, où le financement personnalisé s’impose progressivement comme le modèle d’avenir, malgré les défis qu’il implique.

Une des premières missions du futur ministre fédéral en charge des personnes handicapées sera de rédiger un nouveau Plan d’Action Fédéral Handicap. Cette initiative représente une opportunité unique de concevoir, en concertation avec les entités fédérées, une politique réellement porteuse de changement pour les personnes en situation de handicap. Espérons que la décision incompréhensible de Bruxelles ne devienne pas un précédent, mais plutôt un électrochoc, incitant à une approche plus cohérente et inclusive à l’échelle nationale.