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Accessibilité au logement :
une question essentiellement économique ?

« C’est vrai, chez nous aussi, le marché du logement est sous pression. Mais le marché libre a rempli sa mission. 705 000 nouveaux logements ont été construits entre 1995 et 2020. Il nous en faut maintenant 400 000 de plus d’ici 2050. Le gros problème, c’est l’espace disponible. Voilà le principal défi en Flandre. » Dans un double entretien, le ministre flamand du Logement, Matthias Diependaele, et son homologue néerlandais s’accordent sur un point : la solution à la pénurie de logements passe par la construction de logements neufs.

La question est toutefois de savoir si de tels chantiers constituent une réponse adéquate. En effet, alors que le nombre de logements dans notre pays a augmenté de 27 % depuis 1995, le nombre de ménages, quant à lui, n’a progressé que de 21,8 % (source). La pression sur le marché du logement semble donc supportable. Le manque d’espace est-il dès lors vraiment le principal défi ? Selon le plan de Plan de politique spatiale pour la Flandre, la réponse est non. Alors que l’on accapare actuellement 6 hectares par jour pour faire place à de nouveaux aménagements, le Plan a pour ambition de ramener le besoin d’espace supplémentaire à zéro d’ici 2040. On n’y parle pas de pénurie : le plan présente une vision claire et ambitieuse qui favorise l’optimisation de l’utilisation actuelle de l’espace plutôt que la poursuite de l’extension spatiale.

Le vrai défi est l’augmentation exponentielle des prix à laquelle nous sommes confrontés. Si l’on tient compte de l’inflation et du coût de la vie, le prix de l’immobilier a doublé depuis 1995, un phénomène tempéré uniquement par la baisse des taux d’intérêt.

Ce n’est un secret pour personne, les temps sont durs pour les acheteurs. Le prix des maisons en Belgique a augmenté d’environ 8 % en un an, ce en quoi le marché immobilier belge ne diffère malheureusement pas du marché européen. Un Belge sur deux environ se retrouve confronté à des logements inabordables à la fois sur le marché locatif et acquisitif, un problème qui touche toutes les couches socio-économiques de la société. Les célibataires, dont les revenus sont plus limités, ne sont plus en mesure d’acheter, tandis que les familles aux revenus modestes ne peuvent plus louer à un prix abordable. Les coûts de rénovation se révèlent trop lourds pour la classe moyenne, tandis que les revenus plus élevés fuient la ville (l’« exode de la prospérité »).

Faut-il voir dans cette augmentation exponentielle des prix un phénomène récent ? Tout porte à le croire, au vu de la situation qui prévaut chez nos voisins du nord. Depuis la construction de la ceinture de canaux d’Amsterdam lors du Siècle d’or hollandais, les prix des logements ont été soigneusement répertoriés. L’économiste néerlandais Piet Eichholtz a ainsi pu concevoir l’« indice Herengracht », lequel, après correction de l’inflation, permet de suivre les fluctuations du prix des maisons à Amsterdam au fil des siècles. Or, il s’avère que les prix de 1973 ne diffèrent pas tant de ceux de 1628. Depuis 1990, par contre, ces fluctuations ont complètement disparu pour faire place à une flambée des prix. Celle-ci, moyennant une correction mineure aux alentours de la crise immobilière de 2008-2012, se poursuit de nos jours encore, le prix moyen étant aujourd’hui cinq fois plus élevé qu’au cours des siècles précédents.

D’autre part, les banques préfèrent les prêts hypothécaires « sûrs » aux prêts aux entreprises, la hausse du prix des terrains couvrant mieux le risque. Dans son livre Why can’t you afford a home?, l’économiste Josh Ryan-Collins explique que les gouvernements occidentaux ont sciemment limité le nombre de prêts hypothécaires bancaires dans les années 1930 et 1970 afin de préserver l’accessibilité au logement. Depuis 1990, cette régulation des prêts a toutefois été systématiquement abandonnée au profit du libre marché de la construction, l’offre et la demande étant chargées de réguler l’accessibilité au logement. Conséquence ? Les prêts hypothécaires sont en hausse depuis 1995 : l’augmentation des prix de l’immobilier suppose en effet celle des prêts hypothécaires, laquelle entraîne à son tour l’augmentation des prix de l’immobilier… et donc des prêts. À l’heure actuelle, les prêts hypothécaires représentent également une part fondamentale et de plus en plus importante du portefeuille de prêts en Belgique. Ils semblent inaugurer un 21e siècle où la hausse croissante des prix de l’immobilier serait financée par l’accroissement de la dette. La croissance économique stagne et les prix de l’immobilier augmentent de manière exponentielle, avec comme corollaires un exercice d’équilibre particulièrement compliqué pour la population, l’augmentation des inégalités sociales et la vulnérabilité de notre économie face aux bulles immobilières, ainsi que nous avons pu le constater en 2008. Avons-nous suffisamment retenu les leçons de cette crise ? Ne devrions-nous pas réfléchir un instant à la façon dont nous avons financé le logement au siècle dernier ?

En tout état de cause, l’accessibilité au logement n’est pas une question de pression ou de pénurie d’espace, elle est de nature essentiellement économique : la régulation du crédit au niveau de la demande doit permettre de proposer des logements abordables au niveau de l’offre.