L’assiette de choux-fleurs à la cantine, cet enjeu local insoupçonné
Insipide, cette assiette de choux-fleurs à la cantine? Stop aux clichés: ce plat est non seulement un concentré de saveurs quand il est bien cuisiné, mais c’est aussi un concentré d’enjeux que votre commune affronte au quotidien.
Dernièrement, l’alimentation durable s’est imposée au sein des collectivités locales, compétentes pour gérer la restauration collective des établissements tels que les crèches, les écoles, les maisons de repos, etc. La question est double: pourquoi et comment agir sur l’alimentation durable au niveau local?
Une solution apportée à trois enjeux
Un, aller vers plus de local allège la facture climatique. D’après une étude de Carbone 4, la priorisation des produits locaux, l’introduction d’un repas végétarien hebdomadaire et l’imposition d’un seuil maximal d'émissions de GES (gaz à effet de serre) permettraient une diminution de près de 23% de l’empreinte carbone des marchés publics alimentaires européens en cinq ans. En vue d’une trajectoire zéro carbone à l’horizon 2050, ce levier d’action ne peut être négligé.
Deux, le circuit court est une réponse à la crise agricole alimentée par des faibles revenus pour des conditions de travail difficiles. Les marchés publics d’alimentation durable viennent soutenir une agriculture familiale, de proximité et qualitative, permettant à la fois des revenus sécurisés pour les petits exploitants et la création d’emplois dans cette filière délaissée.
Trois, le local sert une ambition sociale importante: celle de mettre une alimentation saine et abordable à disposition de tous, et au premier rang, les plus précaires de notre société. Elle garantit que tout enfant recevra, quatre fois par semaine, un repas de qualité à l’heure où la précarité alimentaire frappe toujours plus de familles belges.
L’alimentation durable à la cantine fait chou blanc
En dépit de ces arguments de bon sens en faveur du local dans la commande publique, la Commission européenne a forcé la Ville de Bruxelles à renoncer à son ambition. En cause, la libre circulation des marchandises, qui imprègne les règles des marchés publics. Ainsi, il est normalement interdit à tout marché public d’être conçu de manière à favoriser un opérateur sur la base d’un critère géographique. De même, les critères de choix d’une offre doivent être en rapport direct avec l’objet du marché.
Difficile donc de donner une préférence à des produits agricoles locaux ou d’utiliser le bilan carbone d’une entreprise comme critère de choix d’une offre. Pour approvisionner leurs cantines, les communes et CPAS dépendent d’un cadre juridique sur lequel elles ont peu de prise. Il faut le reconnaître: si la réglementation des marchés publics ne permet pas à ses utilisateurs d’atteindre des objectifs légitimes et nécessaires, c’est qu’elle doit être revue.
Perspectives: les carottes ne sont pas (encore) cuites
La future Commission européenne vient d’être mandatée pour envisager l’adaptation des règles européennes des marchés publics. La cohérence et la lisibilité démocratique exigent que les règles des marchés publics soient en accord avec les autres normes, dont le Pacte Vert européen. L’adoption de quelques mesures simples et efficaces est nécessaire, comme la création d’une exception agricole sur les marchés publics et un effort accru d'ouverture des marchés publics aux PME.
En attendant, la collectivité locale est le dernier échelon où se réalisent les orientations stratégiques adoptées aux niveaux national et européen. C’est aussi l’interface principale du citoyen avec l’appareil de l’État. À ce titre, elle joue un rôle crucial pour maintenir la confiance entre les citoyens et les institutions. Encore faut-il que les collectivités locales aient les moyens de leurs ambitions pour ne pas décevoir les citoyens.
Plus les collectivités seront nombreuses à agir, plus elles contribueront à une pression essentielle pour faire bouger les lignes des politiques nationale et européenne.
Des actions possibles dès à présent
Dans l’intervalle, les élus locaux ont la responsabilité d’avancer sans s’abriter derrière les obstacles réglementaires, aussi réels soient-ils. Ils peuvent agir sur trois éléments.
D’une part, tenir une politique de renforcement du service public, à travers le recrutement et la formation des agents. D’autre part, mutualiser leurs ressources avec d’autres acteurs locaux afin de réaliser les meilleurs achats groupés possibles. Enfin, développer une culture de la prise de risque et de l’innovation dans les prises de décision communales, par exemple en valorisant le patrimoine foncier agricole communal (évalué à plusieurs dizaines de milliers d’hectares en Wallonie, environ 7% de sa surface agricole utile) en vue d’une production destinée aux cantines, à l’instar de la Ville de Bruxelles ou du CPAS de Pepinster.