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De l’identité culturelle d’un Diable en Belgique

Egalement paru dans L’Echo du 13 juillet 2018.

L’épopée des Diables Rouges jette une autre lumière sur nos concepts d’identité, de cultures et de projet commun qui fondent la vie en société. Grâce à eux, des noms de famille comme Lukaku, Fellaini ou Carrasco n’ont jamais sonné aussi belge que Courtois, De Bruyne ou Tielemans. L’ensemble de la population les considère comme les meilleurs représentants de la valeur, de la bravoure et de la solidarité de notre pays de 11 millions d’habitants.

Dans un contexte de crispation sur les questions migratoires, d’inégalité croissante et de rapport très problématique avec « l’Islam », les discours qui décrivent « l’Autre » comme menace vitale font florès en Europe. Mais qu’est-ce qui distingue le « NOUS » de « EUX » ? C’est peut-être le moment de revoir et décrypter les concepts d’identité, de culture et de projet commun.

Qui suis-je ? Celui que je crois être ? Ou celui que l’autre dit que je suis ? Force est de constater aussi que je ne vis pas tout seul sur cette terre : je fais forcément partie d’un groupe selon les circonstances. Ainsi, on me considère tantôt comme un jeune, tantôt comme un belge, tantôt commercial, tantôt marocain. La construction identitaire est la résultante de son propre regard sur soi mais aussi et surtout du regard de l’autre sur nous et sur le groupe auquel nous sommes assignés. Nous avons besoin du regard de l’autre pour construire notre identité et ce regard va aussi influencer la façon dont nous allons nous comporter. Pis, pour certains, notre comportement ne serait que le résultat de notre « culture » (celle à laquelle vous appartenez) ne laissant aucune place à notre libre arbitre ou à l’influence d’autres cultures.

Car voilà le premier écueil de cette problématique complexe qu’est l’identité : l’identité culturelle qui vous est assigné vient se coller à la peau de votre être au point de surdéterminer vos actions, vos choix et votre place. Quelle tristesse de se voir dénier sa liberté d’Homme quand nous nous savons enfermés comme belge, femme ou carolo, par exemple. Quel appauvrissement de notre être que de se voir ramener à une « essence » qui expliquerait l’ensemble de nos actes. Prenant conscience que notre identité est plus riche que ces étiquettes collées sur notre front, nous réalisons que nous sommes certainement définis à la fois par des traits stables et mouvants, par des rencontres, des échanges ou des événements intériorisés qui se rajoutent à notre identité et notre culture. Ainsi en va-t-il aussi de la culture d’un groupe qui montre à la fois une certaine stabilité dans certains traits mais qui aussi est influencé par les échanges et l’évolution des membres du groupe qui le composent.

Pour certaines composantes de la population, la nostalgie d’un passé idéalisé, vu comme une sorte de paradis perdu, à récupérer, est une réponse à de nombreux facteurs anxiogènes présents dans l’air du temps. Cette course vers une identité toujours plus restreinte (ce repli identitaire) se fonde sur une recherche de la « pureté » et de « l’authenticité » ayant une valeur plus élevée que la société composite que nous sommes devenus. Il y a derrière cette recherche une dévalorisation symbolique importante de ce que l’autre apporte à des sociétés de plus en plus diverses. Face à ce monde de plus en plus interdépendant, il suffirait de simplifier l’identité pour simplifier la complexité des problèmes qui se posent à nous. Malheureusement, l’histoire enseigne que simplifier le réel et chercher à continuellement restreindre l’identité au plus petit commun dénominateur n’a jamais résolu quoi que ce soit. Que du contraire !

Face à ces tentatives de repli, il s’agit plus que jamais d’embrasser cette diversité, de l’assimiler et d’élargir ce qui est spécifiquement belge. Mohamed est devenu un prénom typiquement belge, aussi belge qu’Alisson, Désiré ou Geert. Se couvrir les cheveux constitue une façon de s’habiller aussi belge que de porter un chapeau ou une jupe. Des créations culturelles se produisent tous les jours dans notre pays et à Bruxelles, un parler populaire qui mélange phrases en français et verbes en arabe (qui se conjuguent !) s’est construit, véritable synthèse des multiples identités qui se vivent dans la capitale. Ce Yiddish bruxellois (certains l’appellent maroxellois) n’est plus seulement utilisé que par des enfants qui seraient d’origine marocaine mais aussi au fil des échanges par un nombre grandissant de jeunes de la capitale. Même si l’identité ne se décrète pas, des actes symboliques peuvent signaler ce qui constitue notre richesse commune. Pourquoi ne pas dès lors inscrire ce nouveau patois comme faisant partie officiellement du patrimoine immatériel local et en éprouver une certaine fierté ?

Cet élargissement de ce que signifie être belge ne constitue pas une tentative de miner le vivre ensemble ou de préparer « un grand remplacement culturel ». Au contraire, c’est reconnaître l’apport distinctif que nous tous, avec nos identités composites amenons dans l’équipe Belgique.