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Dossier 'Emergence': Réinventer le processus décisionnel au sein de l'entreprise

Pendant le confinement, le Groupe du Vendredi a mené une enquête auprès de jeunes adultes belges (25-35 ans) sur leur vision de la société post-corona. Chaque vendredi de cet été, un membre du groupe aborde plus en détail un des sujets de l’enquête. Aujourd’hui : la démocratisation de l’entreprise.

Quel impact aura la crise du coronavirus sur le monde du travail ? Il y a près d’un siècle, les femmes s’imposaient comme les égales des hommes, contribuant à l’effort de guerre en faisant tourner les industries derrière le front. A l’issue du conflit, elles obtinrent enfin le droit de vote. Aujourd’hui, les fermetures de bureaux, les prédictions de la fin du « métro-boulot-dodo » ou l’émergence d’outils digitaux bousculent les habitudes. Tous secteurs confondus, au plus profond de la crise du coronavirus, chaque travailleur a dû se réinventer. Et ceci avec très peu d’injonctions directes des supérieurs, incertains quant aux conséquences du confinement. Ne serait-ce pas là l’occasion de réinventer le processus décisionel au sein de l’entreprise ? Et, pourquoi pas, réflechir à y offrir à ceux qui apportent chaque jour leur talent et leur travail un poids comparable à ceux qui y apportent leur capital ?

La crise, révélatrice de prises d’initiatives

Lors de cette crise, pour beaucoup de travailleurs, l’apprentissage des outils de communication en ligne s’est fait sur le tas. Plus intéressant encore, soutenus par le système de chômage temporaire, nombre de citoyens se sont mis au service de l’effort collectif, en cousant des masques, faisant les courses pour les plus vulnérables, ou en soutenant les travailleurs de première ligne. La liberté retrouvée a en réalité permis une réallocation, certes encore anecdotique à ce stade, mais rapide et efficace des ressources au sein de notre économie.

La fluidité de cette réorganisation fait mentir le cliché de l’employé par essence paresseux et je-m’en-foutiste. Ce cliché, qui date de la Révolution industrielle, est aujourd’hui largement dépassé. Et heureusement ! Car afin d’affronter de prochaines éventuelles crises sanitaires (sans parler de la crise climatique), il serait nécessaire de mettre en place des mécanismes de décision décentralisés, faisant appel au sens des responsabilités des acteurs impliqués en première ligne. L’augmentation nécessaire de la résilience de nos entreprises se passera difficlement d’un droit au chapitre pour les travailleurs, qui vivent l’entreprise au jour le jour.

Les jeunes (25-35 ans) que nous avons interrogés sont plutôt d’accord: bien que plus d’un jeune sur trois soit neutre sur la question, près de 45% est favorable à une organisation du travail plus plate au sein des entreprises, afin précisément de permettre plus de fluidité en réponse aux crises. Mettons donc en place des mécanismes permettant aux jeunes et moins jeunes travailleurs de faire entendre leur voix.

Réinvestir les « conseils d’entreprises »

Comme dans d’autre pays européens, la codétermination au sein de l’entreprise avaient été instituée en Belgique au sortir de la Seconde Guerre mondiale : des chambres de représentation des travailleurs sous forme de conseils d’entreprises (CE). Cependant, l’impact de ces organes a souvent été fort dépendant du bon vouloir du top management. Pour preuve, leur incapacité à contrer la tendance à la hausse de la part des bénéfices servant à rétribuer le capital, de facto seul décideur au sein de l’entreprise aujourd’hui.

Il serait assez simple en réalité de doter ces CE de droits similaires à ceux des Conseils d’administration (CA). La Professeure Isabelle Ferreras, par exemple, plaide depuis plusieurs années pour ce modèle bicaméral, avec un CE et un CA, et droit de véto pour l’assemblée représentative des travailleurs sur les décisions stratégiques. Cela impliquerait que le fonctionnement du CE devienne plus proche de celui d’un parlement, tandis que le CA resterait un organe délégué de l’Assemblée Générale des actionnaires (AG). Ceux qui investissent leur travail dans l’entreprise seraient dés lors considérés non plus comme simple partie prenante, mais comme partie constituante aux côtés des investisseurs en capital, et, de ce fait, à même de valider collectivement les décisions de l’entreprise.

Ce nouvel équilibre des pouvoirs mènerait à une dynamique rafraichissante : le ou la CEO ne devrait plus exclusivement satisfaire aux intérêts des actionnaires, mais également à ceux des travailleurs. Ceci permettrait à l’entreprise d’évoluer vers une culture de partage des décisions, mais aussi des responsabilités, au bénéfice d’une adaptabilité accrue. Une étape nécessaire au vu des défis à venir.