Retournons aux sources de l’initiative citoyenne (L’Echo - 12/07/2013)

Près de 12 pourcent de la population belge est active professionnellement au sein de la société civile. Malgré un salaire plus bas de 14% en moyenne, nombreux sont ceux qui optent pour emploi au sein d’organisations et d’associations non lucratives afin de contribuer à notre vivre-ensemble. Ils sont ainsi des milliers, voir des dizaines de milliers, qui s’engagent quotidiennement pour l’emploi, l’intégration des migrants, l’enseignement, les soins de nos aînés, l’aide aux handicapés, et on en passe.

Ces « petites » initiatives locales se trouvent le plus souvent à la base de la créativité et du renouvellement de notre société. Elles remplissent quelque part le rôle de mini-laboratoire, posant constamment les jalons du vivre-ensemble de demain. Elles forment une catalyse des initiatives citoyennes, transformant le possible en accessible. Malheureusement, dans le contexte actuel, nombre de ces acteurs se trouvent être les victimes des coupes budgétaires et d’exigences comptables et managériales resserrées, et ne reçoivent ni l’espace ni le soutien qu’ils mériteraient.

Ils ne manquent pourtant pas d’exemples de ces micro-initiatives ayant transformé notre appréhension sociétale. La politique d’accueil pour les primo-arrivants est une belle illustration de telles entreprises. De par la diversité croissance de nos centres urbains au début des années nonante sont nées les premières organisations spontanées en faveur de l’accueil des migrants. Les autorités locales ont alors perçu toute la valeur ajoutée d’un tel travail et en ont organisé leurs subsides, pérennisant ainsi ces précieuses associations ; celles-ci bénéficiant de davantage de moyens pour garantir les services qu’elles proposaient, tout en peaufinant leurs méthodes. En outre, cela correspondait parfaitement avec l’évolution des compétences politiques. Avec la réforme institutionnelle du début des années quatre-vingts, les communautés ont reçu les compétences relatives aux politiques d’accueil et d’intégration. Les pionniers des premières initiatives à Gand et à Anvers ont grandement contribué à former le corps de ce que sont ces politiques tant en Flandre qu’à Bruxelles et en Wallonie.

La Belgique a donc entretemps une politique d’accueil dans toutes ses régions et l’on veut maintenant fusionner de nombreuses organisations dans de plus grandes structures. La Flandre veut par exemple créer une structure faitière, supervisant l’ensemble des bureaux d’accueil et autres centres d’intégration afin d’assurer une politique plus uniforme et mieux respectée. Tout l’ennui de ces grandes structures est qu’elles laissent évidemment bien moins de places pour ces initiatives et idées spontanées émanant des citoyens engagés.

En se penchant sur les soins à domicile, un signal similaire est perceptible. Une tendance croissante à la superposition des couches de coordination y est visible. Pour les analystes du secteur, cela rappelle le modèle néerlandais compartimenté des années septante (ontkokeringsmodel). Ce mode de fonctionnement est entre temps passé de mode et, selon des études néerlandaises, serait non seulement plus cher mais impliquerait également une bureaucratie plus complexe et freinerait les initiatives à la base du système.

L’asbl Foton illustre aussi la puissance des projets citoyens. Cette initiative se concentre sur les soins à domicile pour les patients souffrant de démence (alzheimer, parkinson) ainsi que l’aide à leur entourage. Elle a été à la source de la mise sur pied des centres d’expertise sur la demande en Belgique. Une étude a montré l’efficacité de leur concept se basant sur des « consultants en démence », ce qui a entraîné un premier soutien de la ville de Bruges et s’est ensuite répandu ailleurs en Belgique. Aujourd’hui, nombreux sont ceux provenant de l’étranger venant étudier cette initiative locale belge. On veut maintenant implanter ce modèle à succès dans d’autres secteurs des soins de santé et utiliser des plus grosses structures – à savoir les mutualités – pour l’organiser. A l’évidence, la mise-en-œuvre d’une stratégie top-down risque à nouveau de voir amoindrir la créativité antérieure, tout simplement car le modèle de décision répond à des critères objectifs et mesurables qui sont peut adaptés à des initiatives locales et spontanées qui, par définition, ne peuvent encore rien prouver.

En d’autres mots, lier systématiquement le financement de ces organisations à une moindre indépendance n’est ni juste, ni efficace. La valeur ajoutée de ces micro-organisations est justement dans leur caractère unique ; ce qui les amène à proposer des initiatives transformant des problèmes en solutions. Elles sont donc, en quelque sorte, incompatible avec des systèmes centralisés et contrôlés, visant à introduire une pratique réplicable partout. De par leur nature unique, leur soutien provient majoritairement des autorités communales. Or, parmi les contraintes budgétaires s’imposant aux autorités publiques, ce sont justement ces dernières qui sont les plus exsangues, combinant un déficit de près de 260 million d’euros. Sachant que la moitié du budget de ces organisations provient du soutien public, il ne fait aucun doute qu’elles vont être touchées de plein fouet.

Néanmoins, malgré la pression budgétaire, il serait avisé de laisser à ces organisations la liberté de leurs initiatives. La tentation sera grande de créer règles et critères mesurables pour délimiter les moyens. On en oublierait cependant que la nature de ces organisations ne leur permet pas de rentrer dans des procédures administratives élaborées, et que les connexions et réseaux dont elles disposent sont également limités. En conséquence, et même si cela peut paraître contre-intuitif, il est important de garder, dans le cadre du soutien à ces organisations, un jugement personnel et intuitif de leurs apports. C’est par ce biais seulement que l’on pourra continuer à développer notre innovation sociale.