Stock photo shadow sign ball old grey vintage luck outdoor outside b515501d 9e2a 41e3 8c97 701f43a3a3c9

Publicité et casinos en ligne: quand l’argent du CPAS part en fumée

Brieuc Van Damme dirige un nouveau bureau de conseil en politique et est cofondateur du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 26 janvier 2018. Il écrit cette contribution en son nom propre.

Impossible de passer à côté: la publicité pour les jeux de hasard et les paris envahit nos écrans et la scène publique. En témoigne la Jupiler League, dont pas moins de 14 équipes sur 16 se sont ‘associées’ avec l’un ou l’autre site de paris. Un quart de nos équipes de première division ont un casino en ligne comme sponsor principal. Reste à savoir si une telle générosité a été permise grâce à la croissance du marché, ou si, à l’inverse, les campagnes assertives des sites de paris ont elles-mêmes générées cette croissance.

Équipe

Partenaire spécialisé en paris

FC Bruges

Euro Million

Charleroi

777.be

Anderlecht

Bwin

La Gantoise

Napoleon Games

Antwerp

Star Casino*

Standard

Lotto

Saint-Trond

Golden Palace*

Waasland-Beveren

Circus *

Genk

Circus

Courtrai

Bet fFrst

Mouscron

Star Casino*

Ostende

Bingoal!

Lokeren

Casinobelgium.be

Zulte-Waregem

/

Malines

Circus

Eupen

/

Source : recherches personnelles - *= sponsor principal

En matière de jeu, la causalité est parfois difficile à déterminer. Mais une chose est sûre : avec l’émergence des nouvelles technologies, comme les paris sportifs live, le hasard est un business en plein essor. Selon un rapport de la Cellule générale de Politique Drogue publié en 2016, « Les opérateurs privés mènent une politique concurrentielle agressive et le marché total des jeux de hasard a crû de manière exponentielle ».

Selon Johan Albrecht, chercheur à l’Institut Itinera, les intellectuels et les ecclésiastiques considéraient déjà les premiers jeux de hasard comme « l’exploitation éhontée des plus démunis» lors de leur apparition, au début du 16e siècle. Lorsque le comportement du joueur devient problématique, il est inévitablement synonyme de drames sociaux et familiaux, qui, au fil du temps, ont inspiré bon nombre de tragédies et de romans. Or, dans le monde occidental, ces situations concernent environ 1,5 % de la population. En 2006 déjà, le Professeur Albrecht avait estimé la facture sociétale des problèmes de jeu à un milliard d’euros par an. Selon les chiffres de la Commission des jeux de hasard, le nombre d’exclusions de jeu (volontaires ou non) aurait presque triplé entre 2012 et 2016. Au vu de cette évolution, il ne semble donc pas aberrant de penser que le coût familial et sociétal des comportements de jeu problématiques est depuis lors monté en flèche.

Causes de l’exclusion

2012

2013

2014

2015

2016

Règlement collectif de dettes

86 638

122 434

122 601

116 503

Décision judiciaire

71 501

82 580

95 415

116 476

139 247

Exclusions volontaires

17 354

19 670

21 985

24 322

26 782

Exclusions à la demande d’un tiers intéressé

37

89

130

220

314

Exclusions en raison de la nature de la profession

45 869

46 344

45 957

45 436

45 976

TOTAL

134 761

235 321

285 921

309 055

328 822

Source : Rapports annuels 2015 & 2016 de la Commission des jeux de hasard

Les campagnes de publicité agressives et omniprésentes sont problématiques pour d’autres raisons : ce sont les personnes les plus vulnérables de la société qui en payent le prix. Jeunes, pauvres, chercheurs d’emploi, bénéficiaires du CPAS, personnes peu qualifiées ou atteintes d’une légère déficience mentale, sont en effet plus susceptibles de jouer leur argent : de 2 à 8 fois plus que la moyenne selon l’étude ! Une enquête internationale va d’ailleurs dans le même sens en affirmant que « l’impact de la publicité est d’autant plus important au sein des groupes vulnérables ». Qu’on ait – au 16e siècle – utilisé l’appétit vorace des pauvres pour les loteries afin d’éviter aux riches des impôts supplémentaires, s’explique dans une certaine mesure par l’esprit de l’époque. Mais que la prospérité d’un tel système régressif soit encore permise aujourd’hui, par négligence coupable des décideurs politiques, relève de l’archaïsme.

La régulation des jeux de hasard doit cependant être basée sur une « philosophie de canalisation », par laquelle le marché illégal du jeu est combattu par l’existence d’un marché légal régulé. On peut néanmoins légitimement s’interroger si les contraintes normatives en matière de jeux légaux, particulièrement en matière de publicité, limite encore d’une quelconque manière la folie du jeu.

Certes, la question n’est pas restée en suspens ces dernières années. Consciente de la problématique, et après moult publicités controversées et misogynes avec Lesley-Ann Poppe et son « double-bonus », la Commission des jeux de hasard a proposé au secteur un projet de « Convention pour une publicité et un marketing éthiques et responsables des jeux de hasard ». Après de longues et périlleuses négociations (la faute au titre ?), celle-ci a été signée en octobre 2016. De son propre chef, le secteur a ensuite décidé de laver plus blanc que blanc en adoptant une charte en février 2017. Selon cette charte, la publicité des entreprises signataires (6 à l’heure actuelle) doit impérativement porter le message ‘Jouez responsable’. Toujours pas convaincu ? Attendez de voir la ‘nouvelle vignette’. Celle-ci vous fera passer l’envie de jouer votre allocation CPAS.

Selon leurs propres dires, les principales entreprises du secteur privé des jeux de hasard entendent « poursuivre leur rôle pionnier en matière de jeu sûr et responsable ». À peine trois mois plus tard, ce même secteur pionnier autoproclamé écopait d’une plainte du Jury d’Ethique Publicitaire (JEP), suite à l’accoutrement très léger d’une certaine Pommeline Tillière. Rebelote en ce début d’année : nos « partenaires responsables » ont encore fait l’objet d’une publicité gratuite, due à l’explosion de twitter suite à une campagne publicitaire jugée sexiste dans les métros bruxellois (inutile de préciser que les féministes actifs sur ce réseau ne constituent pas le public cible de tels sites Internet). Et pour couronner le tout, un autre site majeur de jeu en ligne, pourtant signataire de la charte, a dû venir s’expliquer devant le JEP en janvier pour une sombre histoire de publicité trompeuse sur un bonus de bienvenue. Heureusement, la communication de Casinosbelgium.be est moins hypocrite que celle de la fédération sectorielle Bago : « Le JEP fait des heures supplémentaires, (…) grâce à quelques entreprises de jeux de hasard. »

Autrement dit : avec des conventions, des chartes, et des précurseurs autoproclamés, nous n’irons pas bien loin. Un impératif se fait toutefois de plus en plus pressant : l’interdiction totale de la publicité pour des jeux de hasard, ou tout du moins de la publicité pour des jeux de casino, des bonus, et des promotions. Car le cadre législatif belge régulant la publicité dans ce domaine est bien plus souple que dans les pays voisins. Quant à l’Europe, elle passe elle aussi totalement à côté de cette problématique, en continuant à encourager la libéralisation débridée, affirment les experts du SPF Santé Publique. Dans les années 90, nous sommes pourtant bien parvenus (malgré Francorchamps) à interdire la publicité pour le tabac. Il parait dès lors impensable que, 20 ans après cette date, le marketing des jeux de hasard continue son ascension. Pour les décideurs politiques, il est grand temps de prendre la problématique au sérieux. Les chiffres sur lesquels doit se baser le SPF datent de 2006 et ne sont, selon ses propres dires, « plus d’application au vu de l’évolution rapide du (…) marché des jeux de hasard ». Vous l’aurez compris : en misant sur l’autorégulation et en fermant les yeux sur les méthodes publicitaires du secteur, les autorités parient sur le mauvais cheval.