Pourquoi et comment les entreprises vont sauver le monde
Le modèle de "propriété responsable", qui vise à éliminer la tension constante entre les intérêts de l’entreprise et la rentabilité, commence à se répandre en Belgique.
Le monde fait face à d’immenses défis. Le changement climatique, les inégalités sociales et l’épuisement des ressources naturelles nous obligent à repenser fondamentalement la manière dont nous structurons notre économie. La majorité des entreprises sont contrôlées par des actionnaires, souvent focalisés sur les bénéfices à court terme, ce qui les éloigne de la mission véritable de l’entreprise.
Une approche novatrice, qui gagne du terrain en Allemagne et aux Pays-Bas et commence à se répandre en Belgique, est le modèle de "propriété responsable" (steward-ownership). Ce modèle de propriété peut servir de base à une économie qui élimine la tension constante entre les intérêts de l’entreprise et la rentabilité.
En Belgique, l’exemple le plus emblématique se trouve, sans surprise, dans l’industrie brassicole. La bière trappiste Orval est gérée selon les principes de la propriété responsable: tous les bénéfices sont réinvestis dans la brasserie et la communauté. À plus long terme, créer un cadre juridique facilitant l’adoption de ce modèle en Belgique devrait être une priorité. Le parc d'attractions Efteling se concentre entièrement sur sa mission "offrir à ses visiteurs une parenthèse enchantée", sans se préoccuper des attentes de rendement des actionnaires.
La raison d’être d’une entreprise est sa mission
Aujourd’hui, ce sont les actionnaires qui décident de la direction à prendre par une entreprise, avec une priorité donnée aux rendements financiers, sans toujours se soucier de la cohérence avec la mission de l’entreprise. À l’inverse, les entreprises en propriété responsable existent pour un seul but: tout faire pour réaliser leur mission.
Un bon exemple est celui de l’Efteling, un parc d’attractions qui, grâce à son modèle de propriété responsable, peut se concentrer entièrement sur sa mission "offrir à ses visiteurs une parenthèse enchantée", sans se préoccuper des attentes de rendement des actionnaires.
Bien que le concept de propriété responsable existe depuis longtemps, avec des pionniers comme Bosch, Novo Nordisk et Carlsberg, il a récemment gagné en visibilité lorsque Patagonia, la marque de vêtements outdoor, a adopté ce modèle (https://www.lecho.be/dossiers/...). Son fondateur, Yvon Chouinard, a transféré ses actions, d’une valeur de 3 milliards de dollars, à une fondation et une ONG, se rendant ainsi indépendant. Les futurs bénéfices seront utilisés pour la protection du climat.
Dans une entreprise en propriété responsable, la propriété et le contrôle sont séparés. Chez Patagonia, les droits de vote et les actions sont répartis entre une fondation et une ONG. La fondation, composée de responsables, décide de l’orientation de l’entreprise, tandis que l’ONG se consacre à des causes caritatives. Cette structure incarne les deux principes fondamentaux des entreprises en propriété responsable: (1) une gouvernance autonome par des responsables sans intérêt financier aux profits et (2) l’utilisation des bénéfices au service de la mission. Une partie des bénéfices récompense les investisseurs, mais la majorité sert à réaliser la mission de l’entreprise.
Entreprendre avec un objectif supérieur
Pour la majorité des entrepreneurs, l’impact positif qu’ils veulent apporter au monde est leur principale motivation, bien plus que l’ambition de s’enrichir. Pourtant, beaucoup se retrouvent piégés dans un modèle économique qui les pousse à prendre des décisions avant tout axées sur l’enrichissement des actionnaires, au détriment de leur mission.
Une entreprise en propriété responsable peut, certes, recevoir des investissements externes, mais les rendements financiers sont préalablement fixés et plafonnés. Une partie des bénéfices récompense les investisseurs, mais la majorité sert à réaliser la mission de l’entreprise, supprimant ainsi la pression paradoxale des investisseurs qui pèse aujourd’hui sur bon nombre de start-ups et scale-ups.
La propriété responsable en Belgique
En Allemagne et aux Pays-Bas, le mouvement pour la propriété responsable s’est largement implanté et apparaît déjà comme le modèle de prédilection pour les entreprises à impact et les entreprises familiales 2.0. La Purpose Foundation en Allemagne soutient les entreprises souhaitant adopter la propriété responsable et milite pour des changements juridiques afin de favoriser l’adoption de ce modèle.
Bien que les entreprises belges puissent déjà évoluer vers une structure de propriété responsable, le cadre juridique reste souvent complexe et opaque.
En Belgique, une ONG appelée "Steward-owned" a récemment été fondée avec pour mission d’accélérer l’adoption de la structure de propriété responsable dans le pays.
Bien que les entreprises belges puissent déjà évoluer vers une structure de propriété responsable, le cadre juridique reste souvent complexe et opaque. Il serait donc pertinent de mener des recherches supplémentaires pour voir si un statut juridique spécifique pourrait faciliter cette transition.
Le cadre législatif belge pourrait, par exemple, introduire une nouvelle forme juridique permettant aux entreprises de séparer les droits de vote et la propriété financière dans leurs statuts: une "société responsable". En outre, il est important de faciliter le financement des entreprises en propriété responsable, notamment en ajustant la fiscalité des investissements pour ne pas freiner leur développement.
Les entreprises sont plus que des machines à profit
Les avantages des entreprises en propriété responsable sont nombreux: des études montrent que ces entreprises sont tout aussi rentables, ont des employés plus productifs et une longévité plus importante. Elles sont un levier puissant pour créer un impact positif dont chaque citoyen finit par bénéficier. Les gouvernements doivent offrir des incitations économiques pour encourager les entreprises à adopter ce modèle. C’est la seule façon de provoquer un changement systémique.
La propriété responsable offre une perspective encourageante pour les entreprises qui aspirent à être plus que de simples machines à profit. Les pays qui se préparent à cet avenir alternatif récolteront les fruits d’une économie durable, avec les fondements écologiques et sociaux nécessaires. La bière trappiste Orval, avec sa tradition de qualité et d’engagement social, est un exemple inspirant en Belgique. Qui sera le prochain?