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Pour que l'Europe lutte efficacement contre les "fake news"

Crises et conflits agissent comme de dangereux accélérateurs pour certains phénomènes sociaux. Les fake news en sont une illustration. Pensez à la manipulation de la vérité dans le conflit opposant l'Ukraine à la Russie. Parfois, la désinformation frappe au cœur même de notre société belge. La vague d'informations mensongères qui nous a submergés pendant la pandémie a ainsi profondément affecté la possibilité d'un débat sociétal sur des bases factuellement incontestées.

Comme l’ont montré ces évènements, la désinformation augmente l'instabilité politique et sociale et représente une menace pour notre démocratie et notre état de droit. Empêcher la propagation de la désinformation sera indéniablement l'un des grands défis des années à venir. Il semble évident que c'est au niveau européen que ce défi sera le mieux relevé. En tant que Présidente du Conseil de l'Union européenne, la Belgique peut jouer un rôle important à cet égard. Une action décisive dans ce domaine est d’autant plus urgente qu’on sait que, après la présidence belge, la Pologne et la Hongrie reprendront les rênes de l'Europe.

Malgré la nécessité prouvée de mesures efficaces contre la désinformation, leur mise en œuvre ne sera pas simple. La lutte contre la désinformation peut en effet entrer en conflit avec le droit à la liberté d'information, autre fondement de notre société démocratique.

Celui qui souhaite combattre les fake news doit d'abord les identifier et, ensuite, les maîtriser. Si un gouvernement souhaite assumer ce rôle, il doit donc, en un sens, faire office d'arbitre et de garant de la quête de la vérité. Si l'on se place dans la perspective des droits de l'homme, les pouvoirs publics devraient s'abstenir d'intervenir de la sorte. Ils devraient plutôt s’atteler à créer un climat dans lequel un débat public pluraliste est possible. Toutefois, comme pour tous les droits de l'homme, le droit à la liberté d'information n'est pas absolu et inattaquable. Les interventions sont autorisées si elles s'avèrent nécessaires à la société démocratique.

La création d'un cadre réglementaire relatif aux fake news suppose, en d'autres termes, un exercice d'équilibre délicat, une navigation prudente entre le Scylla de la censure et la Charybde des mensonges déstabilisants.

Jusqu'ici, l'Europe a avancé à pas feutrés dans cette arène. En 2018, la Commission européenne a donné l'impulsion d'une initiative d'autorégulation. Dans le « Code of Practice on Disinformation », 34 acteurs importants (principalement des plateformes de médias sociaux) s'engagent à respecter un certain nombre de normes pour combattre la propagation de la désinformation.

Même si on peut se réjouir de cette initiative, elle a deux talons d'Achille. En premier lieu, les organes de presse (traditionnels) ne font pas partie des signataires et n'y sont donc pas soumis. Une étude récente montre pourtant que 47 % des gens s'informent encore via ce type de canal.

Deuxième problème important des initiatives d'autorégulation : elles accordent aux acteurs commerciaux le pouvoir de déterminer ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Contrairement aux pouvoirs publics, les acteurs commerciaux autorégulés interprètent librement le rôle sociétal qu’ils veulent bien endosser. Ceci implique un risque énorme - celui d’une restriction arbitraire de la liberté de presse et de la liberté d'expression.

Il est donc hautement souhaitable d'agir contre les fake news au niveau politique européen. La formulation de cette réponse européenne forte pourrait s'inspirer du Règlement européen de protection des données adopté en 2016. La protection des données à caractère personnel a également été longtemps considérée comme un champ de mines truffé d’obstacles techniques et sociaux quasi infranchissables. Et pourtant, le Règlement a vu le jour, avec des organes de contrôle nationaux indépendants (en Belgique l'Autorité de protection des données) qui veillent à l'application de ces règles. La Présidence belge réaliserait un joli coup en soutenant l'établissement d'un cadre juridique similaire pour les fake news.

Pour le dire avec les mots de Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne : « Le temps de la simple autorégulation est révolu. L'Europe est la mieux placée pour prendre l'initiative et proposer des instruments en faveur d'une démocratie plus résiliente et plus juste dans un monde de plus en plus numérique. »

Cet article est publié sur L'Echo.be le 15/7/2022