On ne comble pas le fossé de l’enseignement en construisant des murs, mais des ponts
Brieuc Van Damme est un bilingue de naissance et de cœur. Bruxellois d’adoption, il habite à Molenbeek et est président du Groupe du Vendredi, une plateforme politique pour les jeunes de tous horizons. Il écrit cette contribution en nom propre. Paru dans Le Soir le 18/02/2016
Nous avons publié la semaine passée, avec le Groupe du Vendredi, un constat édifiant : un mur physique séparant les élèves de l’enseignement francophone de ceux de l’enseignement néerlandophone se dresse au sein de 30 % des écoles bruxelloises flamandes. Résultat : sur la place communale les enfants jouent au football, pendant la récré à la guerre. Tir de projectiles au-dessus du mur inclus.
Ce mur réel de quelque 2 kilomètres de long, soit la distance entre Manneken Pis et le Parc du Cinquantenaire, traverse aussi les décrets sur l’enseignement de la Communauté flamande et française. Il traverse des directions et des salles des professeurs qui ne se parlent plus depuis des décennies. À quelques courageuses exceptions près, la communication est quasi inexistante.
Et qui est le dindon de la farce ? Eh bien oui, les enfants bruxellois. Une directrice témoigne sur Radio 1 : lors de la scission de son école il y a trente ans, la section néerlandophone a dû céder la grande salle de sport aux francophones. Les néerlandophones pouvaient dans un premier temps encore s’en servir, mais depuis que la politique communale a décidé de donner la priorité à l’enseignement francophone, les élèves néerlandophones doivent maintenant marcher 15 minutes jusqu’à un autre complexe sportif. Au cours de notre propre enquête, nous avons appris qu’une directrice risquait de perdre des subventions si elle collaborait avec son homologue francophone pour une gestion commune plus efficace des infrastructures ou de l’organisation des fêtes de l’école.
Notre rapport a d’ores et déjà un résultat : des écoles nous signalent qu’elles ont pris contact entre elles et ce, parfois pour la première fois depuis des années. Il n’est pas toujours nécessaire d’attendre le législateur. Le changement vient souvent à l’initiative du terrain. Ce n’est qu’après que la politique suit.
Les écoles bruxelloises flamandes et francophones font pourtant face aux mêmes défis : ceux d’une région métropolitaine, multiculturelle et plurilingue. Avec 15 à 20 % de décrochage scolaire selon la source, Bruxelles figure en tête de la liste régionale et se situe au-dessus de la moyenne européenne. Le fossé de l’enseignement, que l’on impute à un cocktail de pauvreté et de parents allochtones, est une bombe à retardement pour le tissu social de notre capitale et son développement économique.
Le fossé linguistique n’est pas seulement à la cause. Le pluralisme linguistique est aussi l’un des remèdes les plus efficaces au problème si l’école sait s’en servir correctement. Il ressort d’une étude nationale et internationale de la VUB que les enfants qui apprennent une partie de la matière dans une autre langue obtiennent non seulement de meilleurs résultats en langues, mais aussi dans d’autres matières telles que le calcul et les mathématiques. La progression est la plus marquée chez les élèves faibles, ce qui réduit le fossé avec les élèves forts.
Une étude de Nevala & Hawley montre pour sa part que le nombre de jeunes en décrochage scolaire peut être réduit grâce à une bonne collaboration entre tous les niveaux de compétence et tous les acteurs. Avec un maximum de deux petites heures d’enseignement en immersion dans l’enseignement primaire néerlandophone et certaines communautés scolaires isolationnistes, on peut dire que les deux, l’immersion et la collaboration, font défaut à Bruxelles.
Il est toutefois possible de faire certaines choses à court terme pour améliorer la situation des jeunes scolarisés dans la capitale. Si les ministres Joëlle Milquet et Hilde Crevits prenaient le café avec quelques directeurs d’école, elles sortiraient sans aucun doute une kyrielle d’absurdités susceptibles d’être supprimées, ou du moins réduites, par de petites adaptations de la réglementation, comme l’ont déjà démontré des témoignages ci-dessus. L’enquête PISA de l’OCDE devrait en outre comporter un volet sur l’enseignement à Bruxelles afin de mieux comprendre les besoins spécifiques et les solutions possibles pour la région.
Le fossé de l’enseignement peut être réduit en rendant l’enseignement maternel obligatoire au sein des deux Communautés, et en se servant de la langue de manière décomplexée dans l’enseignement bruxellois. Depuis septembre 2014, jusqu’à 20 % des cours peuvent être donnés dans une autre langue dans l’enseignement secondaire bruxellois néerlandophone. Cette possibilité doit être étendue à l’enseignement primaire, où les inégalités éducatives se créent.
On réduit un fossé en se rapprochant et en apprenant les uns des autres. On peut même combler un fossé en collaborant. Mais si on se tourne le dos, des murs se hissent et deviennent rapidement impénétrables.