Ne sacrifions pas la qualité de l’air et la mobilité sur l’autel de la compétitivité (L’Echo)

En 2011 notre pays a été assigné en justice par la Commission européenne pour manquement aux règles de l’Union en matière de qualité de l’air. En cause ? La trop grande concentration en particules fines, imputable notamment à la circulation routière et en particulier aux moteurs diesels, qui représentent près des trois-quarts du parc automobile belge. Selon l’index INRIX, un indicateur clé de la congestion du trafic routier, la Belgique est par ailleurs le pays le plus embouteillé de tous les États d’Europe et d’Amérique du Nord. Les conditions de circulation à Bruxelles et Anvers y seraient pires que dans des mégalopoles telles Paris, Londres ou New York.

Cette situation nuit gravement à notre qualité de vie : à l’origine de 13.000 décès prématurés par an, la pollution de l’air représente un risque majeur pour la santé, tandis que la congestion automobile coûte cher, non seulement car elle occasionne d’importantes pertes de temps dans les embouteillages, mais aussi car elle affecte la mobilité des travailleurs à la recherche d’un emploi. Et les choses ne semblent pas prêtes de s’arranger : à politique inchangée, la circulation automobile devrait s’accroître de près de 30% d’ici à 2030.

Certains diront qu’il faut dès lors investir dans nos infrastructures routières. Toutefois, si notre réseau routier nécessite indubitablement des aménagements, il faut garder à l’esprit qu’une réduction du trafic ne peut être que temporaire, car une plus grande fluidité aspire davantage de véhicules et, rapidement, on se retrouve au point de départ. En outre, une telle optique risque bien de ne pas solutionner nos problèmes de particules. Quand on sait que 18,3% des émissions totales de gaz à effet de serre proviennent des transports, décourager l’utilisation de la voiture et parallèlement investir dans des alternatives durables telles que les transports en commun apparait comme une stratégie de long terme plus appropriée. Au-delà de ses effets positifs sur notre qualité de vie, il va sans dire qu’une telle orientation renforcerait également l’image et l’attractivité de nos villes, avec toutes les opportunités économiques et culturelles qui en découlent.

Une bonne nouvelle est que la fiscalité verte semble fonctionner. Pour s’en convaincre, il est par exemple frappant de constater que la révision du système de calcul de l’avantage de toute nature pour les voitures de société, qui depuis janvier 2012 accroît la prise en compte de l’impact environnemental des véhicules, a produit des effets. Selon les chiffres de la Febiac, la Fédération belge de l’industrie automobile et du cycle, les émissions moyennes de CO2 des voitures neuves immatriculées au nom de sociétés ont en effet baissé de près de 7% entre les 9 premiers mois de 2011 et les 9 premiers mois de 2012. Dans le même temps, les émissions moyennes des voitures de particuliers auraient pour leur part augmenté d’un peu moins de 5%. Ceci laisse penser que faire évoluer les comportements pour réduire l’usage de la voiture et orienter les conducteurs vers des modèles plus respectueux de l’environnement peut être encouragé par une évolution de la fiscalité automobile.

En matière de fiscalité verte, notre pays n’est actuellement que 20e sur 27 pays dans l’Union européenne, tandis qu’il est dans le top 3 en matière de fiscalité sur le travail. Un mouvement en faveur de la fiscalité verte apparait par ailleurs porteur politiquement : selon le dernier sondage Ipsos réalisé à la demande du Soir, RTL-TVi, VTM et De Morgen, 83% des Belges sont en faveur de mesures fiscales qui touchent les produits polluants.

Une première piste à envisager est de moduler davantage les aspects fixes de la fiscalité relative aux voitures particulières – tels que la TMC ou la taxe de circulation – en fonction des qualités écologiques des véhicules. Une seconde piste, plus ambitieuse, est d’ajuster les aspects variables de la fiscalité, afin de tenir compte de l’utilisation effective des véhicules. Une option intéressante, car relativement facile à mettre en place et bénéfique à la qualité de l’air, est par exemple d’amener la taxation sur le diesel au même niveau que celle de l’essence. Sans tenir compte des effets sur les comportements, cette dernière mesure pourrait, selon l’OCDE, générer des revenus jusqu’à 0,5% du PIB, soit environ 1,9 milliards d’euros pour la Belgique. Une somme non négligeable en période de disette budgétaire. Enfin, une troisième piste est de repenser en profondeur le régime fiscal des voitures de société, qui constituent de l’ordre de 15% de notre parc automobile. Ce régime est particulièrement favorable en Belgique au regard des autres pays européens et pose une série de questions. Premièrement, il coûte très cher à la collectivité : 0,5% du PIB dans l’Union européenne selon la Commission. Deuxièmement, il est déresponsabilisant car ses bénéficiaires n’internalisent pas les coûts de leur comportement, et il incite à l’utilisation de la voiture, surtout quand le package inclut une carte essence illimitée. Enfin, avec seulement un tiers des déplacements réellement effectués à des fins professionnelles, ce régime semble se justifier essentiellement car il permet aux entreprises de proposer un avantage en nature et de réduire les charges élevées qui pèsent sur le travail. Si le débat sur le coût salarial est parfaitement légitime, on ne règle toutefois pas les problèmes de compétitivité en sacrifiant la qualité de l’air et la mobilité.