Notre seul horizon réaliste : des voies de migrations sûres et légales
David Méndez Yépez est économiste, musicien et membre du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 1e décembre 2017.
20 000. C’est le nombre de nuitées que la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés a rendu possible depuis le mois d’août 2017. 20 000 fois. C’est le nombre de fois que les portes de particuliers se sont ouvertes ; pour permettre aux migrant·e·s du parc Maximilien de ne pas dormir dehors et de les protéger des contrôles policiers.
Tous les jours, des milliers de citoyen·ne·s européen·ne·s témoignent leur solidarité envers les personnes migrantes. Que ce soit sur les routes et aux frontières, aux larges de la Méditerranée et dans la capitale européenne. Chaque fois que ces citoyen·ne·s viennent en aide aux exilé·e·s, ils tordent le cou au repli sur soi et à la fatalité. Ils et elles sont convaincu·e·s qu’une autre politique migratoire est possible. Sont-ils généreux mais peu réalistes ?
Par paresse ou ignorance, « On » oublie souvent de citer la fin de la célèbre phrase de Michel Rocard : « Nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde, mais nous devons en prendre fidèlement notre part ». Et il y a de bonnes raisons de douter du fait que l’Europe y prenne sa juste part. 90 % des réfugié·e·s sont accueilli·e·s dans des pays en développement ; seulement 6% le sont en Europe. Cela représente à peine 0,2% de la population européenne. D’après les chiffres du Haut Commissariat pour les Réfugiés et de la Banque mondiale, les pays industrialisés membres de l’OCDE accueillent 9% des réfugié·e·s dans le monde, alors que leurs économies représentent 68% du PIB mondial. A l’inverse, le reste du monde accueille 91% des réfugié·e·s, pour une part de la richesse mondiale de 32%. (1)
Face aux dynamiques migratoires, l’Europe fait le choix de la fermeture, un choix couteux financièrement et humainement.
- Migrants Files (2), estime à 13 milliards d’euros la somme dépensée par l’Union européenne pour lutter contre l’immigration irrégulière entre 2000 et 2014. Au cours de la même période, le nombre d’entrées irrégulières recensées n’a cessé d’augmenter.
- Depuis 2000, plus de 33 000 personnes ont perdu la vie en mer en tentant de traverser la Méditerranée (3). L’Organisation Internationale pour les Migrations (4) a comparé les différentes régions traversées par d’importants mouvements migratoires. Dans son dernier rapport publié le vendredi 24 novembre 2017, l’organisation est univoque : l’Europe est de loin la destination la plus dangereuse au monde. Par ailleurs, dans sa stratégie d’externalisation du contrôle de ses frontières, l’Union européenne soutient financièrement les garde-côtes libyens, qui refoulent les migrant·e·s vers des camps de détention. Les images de migrant·e·s vendu·e·s en tant qu’esclaves ont provoqué l’indignation de la communauté internationale et souligné l’irresponsabilité de l’Europe de déléguer la gestion de ses frontières à un pays instable comme la Libye.
Au mépris du respect des droits humains et du droit international, la politique de fermeture est souvent justifiée par l’impact négatif qu’aurait une personne migrante sur l’économie du pays d’accueil. Pourtant, selon l’OCDE, un·e immigré·e rapporte en moyenne 3 500 EUR de rentrées fiscales annuelles et entraîne un impact budgétaire positif de 0,5% du PIB dans le pays d’accueil (5). La prospérité d’un pays n’est en effet pas un gâteau de taille figée, qu’il faudrait se partager entre un nombre croissant de personnes. Quand la population croît, la taille de l’économie peut croître également, plus que proportionnellement. Les migrants dynamisent l’économie et occupent souvent des emplois en pénurie dans les pays d’accueil. De plus, avec sa population vieillissante, l’UE a un besoin cruel d’immigration si elle veut maintenir un niveau de population active suffisant pour préserver son modèle économique et social.
Par ailleurs, les politiques actuelles qui poussent une partie de la population dans la clandestinité alimentent une économie souterraine et crée une main-d’œuvre exploitée et sous-payée qui fait concurrence aux travailleurs « légaux », nourrissant le repli identitaire, les tensions sociales et la peur de l’autre. « L’autre », c’est ces « étranges étrangers », pour reprendre le titre du poème de Jacques Prévert, dont cet extrait résonne particulièrement aujourd’hui :
Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d’une petite mer
Où peu vous vous baignez
Le 13 décembre, la veille du sommet européen, des citoyen·ne·s européen·ne·s de tous horizons seront à Bruxelles pour défendre la justice migratoire: l’instauration de voies sûres et légales de migration, l’arrêt immédiat des violences aux frontières ainsi que l’égalité de droit pour toutes les personnes vivant en Europe.
En matière de politique migratoire, le réalisme ne serait-il pas du côté des citoyen·ne·s solidaires avec les migrant·e·s? L’irréalisme inopérant des politiques européennes, comparé au pragmatisme efficace d’une partie de la société civile, pousse à le penser.
1) Can market mechanisms solve refugee crisis?
2) Consortium de journalistes européen·ne·s: The Migrants Files
3) New study concludes european mediterranean border remains worlds deadliest
4) Organisme des Nations Unies chargé des migrations
5) OCDE, Perspectives des migrations internationales, Editions OCDE, 2013