Les réseaux sociaux augmentent le flux d’information, mais sont-ils réellement des espaces de dialogue ?
Thomas Dermine est économiste, entrepreneur et membre du Groupe du Vendredi. Cet article est également paru sur levif.be
Les réseaux sociaux sont des outils fantastiques et, le moins que l’on puisse dire est que les Belges le leur rendent bien : 9 internautes belges sur 10 possèdent aujourd’hui un profil sur un réseau social. Le plus gros d’entre eux, Facebook, recense en Belgique plus de 6 millions de comptes, soit plus d’un Belge sur deux. Avec les réseaux sociaux, nous pouvons partager du contenu que ce soit des vidéos de vacances, des photos de chaton, un événement dans son quartier ou une opinion politique. Selon une récente étude publiée par Facebook, environ 10% du contenu que nous échangeons sur le réseau social concernerait des opinions politiques. Les réseaux sociaux laissent donc entrevoir la perspective d’une opinion publique mieux informée puisque chacun d’entre nous peut devenir un mini-rédacteur en chef pour ses abonnés ou “amis” et exprimer son opinion en créant ou en partageant du contenu. Cependant, les réseaux sociaux comportent plusieurs risques pour la qualité de notre débat démocratique, et non des moindres.
En effet, nos “amis” sur les réseaux sociaux sont beaucoup plus susceptibles de partager nos propres vues politiques et idéologiques que des parfaits inconnus. En moyenne, selon le département de recherche de Facebook, seul 23% de nos “amis” ont des vues idéologiques opposées aux nôtres et moins de 30% du contenu politique auquel nous sommes confronté dans notre fil d’actualités Facebook va venir remettre en question nos propres opinions. Les réseaux sociaux tendent donc à créer un effet de renforcement qui polarise l’opinion publique en enfermant chacun dans ses certitudes et renforce les divisions au sein la société. Par exemple, un électeur MR convaincu du bien-fondé du tax-shift ne sera confronté sur les réseaux sociaux quasiment qu’à des opinions qui le confortent dans sa position. A l’inverse, un électeur du PS sera plus susceptible de trouver chez ses “amis” des arguments pour nourrir sa critique du gouvernement fédéral.
Ces phénomènes ont toujours existé. Des amis ont toujours discuté politique autour d’un verre et les journaux n’ont jamais été neutres politiquement mais les réseaux sociaux ont considérablement amplifié le phénomène. En d’autres termes, si les réseaux sociaux sont effectivement des outils fantastiques qui permettent un plus grand flux d’information, ils risquent paradoxalement de réduire les espaces de dialogue, de produire des visions manichéennes du monde et de rendre encore plus violentes les confrontations entre groupes politiques.
De Trump au Brexit en passant par la réémergence des nationalismes européens, nous assistons impuissants à une polarisation toujours plus profonde des opinions publiques au sein des démocraties occidentales. Une récente étude de l’université de Stanford, relayée dans ‘The Economist’ le 4 aout, illustre clairement sur base d’une analyse sémantique comment le discours au sein de la chambre des représentants américains est devenu plus partisan et oppose de façon plus violente le bloc républicain au bloc démocrate au cours des dernières années. L’existence d’un effet de renforcement via les réseaux sociaux offre une nouvelle grille de lecture pour mieux comprendre ces nouveaux phénomènes de division profonde de l’opinion publique, dit l’étude. De manière plus dramatique, le même mécanisme peut en partie expliquer l’amplification et la vitesse accrue des phénomènes de radicalisation observés dans certaines communautés qu’elles soient religieuses ou politiques.
Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls à générer cet effet de renforcement sur internet. Tous les acteurs majeurs du web, comme Google ou Amazon, ont des algorithmes puissants, souvent basés sur nos données personnelles pour filtrer le contenu d’internet et nous offrir seulement le contenu que nous désirons, c’est-à-dire ce que nous sommes le plus susceptible de clicker, de “liker”, de partager ou d’acheter. Ceci encore amplifie encore l’effet de renforcement crée par les réseaux sociaux. Amazon par exemple est passé maître dans l’art de nous faire des recommandations pour nos prochains achats de livres sur base de nos lectures précédentes et des lectures de nos amis. Google va ajuster les résultats de son moteur de recherche en fonction de nos affinités et de nos recherches précédentes. Faites le test chez vous, une même recherche sur Google ne génère pas systématiquement des résultats similaires pour deux utilisateurs différents.
Internet est le plus fabuleux réservoir de connaissance que l’humanité ait jamais construit. Il existe cependant aujourd’hui un risque réel que les réseaux sociaux et les algorithmes personnalisés des géants de l’Internet n’en filtrent qu’une partie édulcorée et nous cachent les points de vue et les vérités que nous préférons ignorer. Il est dès lors crucial d’œuvrer pour plus de transparence et de diversité dans ces algorithmes. De la même manière qu’Amazon, Google ou Facebook sélectionnent du contenu que nous allons “aimer”, leurs algorithmes pourraient aussi nous présenter des alternatives qui remettraient en cause nos positions idéologiques les plus profondes.
Les réseaux sociaux pourraient par exemple offrir une option qui permette à l’utilisateur de recevoir des suggestions de contenu qui, à priori, ne corresponde pas forcément à ses convictions. A court terme, ils perdraient peut-être des recettes publicitaires mais s’ils ne le font pas, c’est toute leur crédibilité en tant que source d’information qui pourrait être remise en cause. Il s’agit là en tout cas d’un prérequis important pour qu’internet et les réseaux sociaux puissent effectivement déployer toute leur puissance pour contribuer à rendre le débat démocratique plus sain et mieux informé.