Insuffisant! Pourquoi la connaissance ne suffit-elle plus et que faire pour remédier à cette situation?

Joeri Colson (1981) est expert du marché de l’emploi et travaille pour l’Agence flamande pour le Fonds social européen, Johan Loeckx (1980) est chercheur au VUB Artificial Intelligence Lab. Ils ont rédigé ces articles en leur nom propre. Egalement paru sur Levif.be

La population vieillit, l’influence de la technologie sur notre vie quotidienne s’accroît et les exigences en termes d’apprentissage et de mise en niveau s’accroissent sans cesse, nous incitant à s’inscrire dans une logique de « formation continue ». Bien que ces thèmes sociétaux soient souvent traités de manière individuelle dans les médias, on parle nettement moins de la combinaison de ces défis : comment peut-on encore faire participer une population vieillissante à la formation continue avec, ou malgré tous les progrès technologiques?

Le Groupe du Vendredi a examiné spécifiquement quelles étaient les opportunités pour les adultes de participer à l’enseignement universitaire à un âge plus avancé, et quel était le rôle joué par la technologie. Le fait d’être titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur constitue en effet encore de nos jours l’une des meilleures protections contre la pauvreté : ainsi, le risque qu’une personne arrive sous le seuil de pauvreté est de 6 % pour les plus qualifiés, alors qu’il est de 28 % pour les personnes sous-qualifiées!

Nous sommes toutefois confrontés à différents défis. Si nous examinons la participation des plus de trente ans à l’enseignement supérieur, nous constatons que l’effet d’aubaine joue également son rôle en Flandre : pas moins de 98 % des personnes de plus de 30 ans qui continuent à étudier sont déjà titulaires d’un diplôme du supérieur! Quiconque a manqué l’ascenseur social de l’enseignement supérieur a donc très peu de chances de pouvoir encore rattraper son retard par la suite.

Par ailleurs, on constate que dans les trajets adaptés, qui existent mais qui ont du mal à attirer un large public, ce que l’on appelle les orientations STEM (science, technology, engineering & mathematics) sont sous-représentées. C’est d’autant plus étonnant que ce sont précisément ces orientations qui sont prônées dans les programmes politiques comme les orientations du futur. Nous constatons aussi que la formation continue à l’université n’est pas réellement stimulée par les employeurs, alors qu’elle agit justement au bénéfice de la productivité du travailleur. Il faudrait en faire un avantage extralégal qui aurait une plus-value sociale significative. Il est à noter également qu’aucune classification comparant les universités ne tient compte de la participation des étudiants plus âgés. Nous avons aussi pu observer que le travail effectué par les professeurs dans ces programmes n’est que très peu valorisé, et qu’ils ne reçoivent pas les outils pédagogiques pour enseigner aux adultes. Or, ces étudiants pourraient enrichir de leur expérience les « cathédrales de la connaissance » que sont les universités.

Le numérique et l’apprentissage en ligne sont souvent proposés comme des technologies-leviers pour atteindre le groupe-cible dont il est question plus haut. L’un des arguments est que l’enseignement à distance en ligne supprime dans une large mesure les obstacles situationnels et institutionnels. La grande flexibilité et l’autonomie en termes de temps et d’occupation de l’espace sont dès lors perçues comme des atouts majeurs. Il est par conséquent important dans ce contexte d’envisager la réserve par rapport à la qualité didactique (plus faible ?) des solutions en ligne en regard de la suppression des obstacles précités.

Si nous examinons toutefois comment la nouvelle technologie est mise en œuvre pour permettre aux personnes de participer de manière plus flexible à l’enseignement supérieur, il est clair que nous souffrons des mêmes maux. Même si l’on utilise déjà ces outils, la méthode d’enseignement est exactement la même qu’il y a plusieurs siècles : l’enseignant se contente de débiter son cours devant une caméra.

L’impact de l’apprentissage en ligne ne peut cependant pas être négligé pour cette raison. L’histoire de l’art typographique nous a en effet appris qu’un changement dans la diffusion de la connaissance exerce une influence non négligeable sur la société, et peut entraîner une émancipation croissante du citoyen.

Il est donc essentiel que ces nouvelles technologies (internet, téléphonie mobile et médias sociaux) ne soient pas considérées comme une technicité pure, mais comme un acteur sociologique important, un moteur puissant, capable de modifier fondamentalement la nature, l’accessibilité et la diffusion de la connaissance. Le caractère unique de la situation actuelle est non seulement le confort et la rapidité de transmission, mais aussi le fait que chacun est aussi bien consommateur que producteur de connaissance.

Si l’on associe la technologie à de nouvelles méthodes d’enseignement, il est possible de réaliser quelques quick-wins. Comme les professeurs n’ont plus à répéter à chaque fois la matière devant un auditoire, ils disposent de plus de temps pour la recherche, ou pour interagir davantage avec les étudiants. Les auditoires pourraient ainsi être utilisés pour permettre aux étudiants déjà préparés de discuter ensemble, et donc de développer aussi bien leurs aptitudes cognitives que non cognitives.

Cela s’avèrera utile. Selon le célèbre journaliste de Fortune Geoff Colvin, un changement est en train de s’opérer depuis le travailleur doté de connaissances, vers le travailleur relationnel mettant l’accent sur la créativité, l’esprit critique, la résolution de problèmes et le leadership. À l’instar de ce qui se passait au siècle dernier, époque à laquelle la connaissance avait une telle importance que les personnes qui en étaient dotées gagnaient davantage que les travailleurs manuels, les personnes qui, au 21ème siècle, possèdent de bonnes aptitudes relationnelles seront mieux valorisées sur le marché de l’emploi que celles possédant uniquement la connaissance au sens propre. En effet, de nos jours, la connaissance ne suffit déjà plus à elle seule.

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