Le commerce international comme levier des négociations climatiques (L’Echo - 15/11/2013)

Marika Andersen travaille à Bruxelles pour la fondation environnementale norvégienne Bellona. Brieuc Van Damme conseille le vice-Premier ministre Alexander De Croo et préside le Groupe du Vendredi groupeduvendredi.be

Cette semaine, la conférence des Nations unies sur le changement climatique, COP19, a démarré à Varsovie. Contrairement aux récent sommets de Durban, Copenhague et Cancún nous devons nourrir l’espoir d’un résultat ambitieux et d’un programme tangible pour nous mener à la conférence de Paris en 2015. En même temps, nous devons comprendre qu’il existe d’autres leviers, peut-être plus efficaces, pour lutter contre le changement climatique. Par exemple la convention de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, dont la seconde série de négociations a également débuté cette semaine.

Le potentiel économique du Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) est énorme. Les liens commerciaux entre les USA et l’UE sont les plus importants au monde, représentant environ un tiers du commerce mondial. CEPR, un bureau de recherche, estime qu’un accord complet sur le PTCI permettrait une croissance des économies américaines et européennes égale à 0,5 % de leur PIB respectif, ce qui signifierait quelques 5,6 millions de nouveaux emplois pour l’UE (dont 150 000 pour la Belgique) et une augmentation de 545 € du pouvoir d’achat moyen de chaque ménage européen. Inutile de dire que l’augmentation de l’activité commerciale aura aussi un impact environnemental : les États-Unis et l’Union européenne sont les deuxième et troisième plus grands émetteurs de gaz à effet de serre. Mais au lieu de s’opposer complètement à la libéralisation du commerce dans le but de protéger le climat, le PTCI pourrait être une opportunité d’intégration d’objectifs climatiques dans les pratiques commerciales.

Un document révélé en juin montre l’intention de la Commission européenne d’intégrer un chapitre environnemental dans le PTCI. Celui-ci détaille l’accord comme une opportunité de concrétisation « de stratégies et de politiques visant à promouvoir la contribution du commerce à l’économie verte, en ce compris l’éco-innovation. » Un PTCI sain garantit que le pouvoir d’achat supplémentaire soit dépensé dans des produits et services novateurs et durables, et ne donne pas lieu à une simple hausse de la consommation. Le PTCI permet donc d’intégrer les objectifs climatiques, la protection de l’environnement et le développement durable avec le commerce.

Bien que l’UE est clairement sensible aux inquiétudes environnementales, il existe de bonnes raisons de continuer à attirer l’attention des négociateurs sur l’agenda climatique de l’UE. Car suite aux nombreux scandales liés à la NSA, leur priorité se déplacera peut-être vers la protection des données. En outre, à la lumière des récents développements sur le marché énergétique mondial, il serait vraiment dommage que le seul résultat du PTCI soit un gaz de schiste américain meilleur marché. Le gaz de schiste ayant fait baisser la consommation et donc le prix de charbon aux Etats-Unis, l’intérêt d’ouvrir de nouvelles usines à charbon sur le Vieux Continent , notamment en Pologne – pays organisateur du COP19 – a connu une recrudescence. Concrètement, cela signifie un pas en arrière en matière d’indépendance d’énergie fossile pour l’Europe et par conséquent de lutte contre le réchauffement climatique.

Troisièmement, cette vision à court terme pourrait être contrée en liant la conclusion d’un protocole climat post-Kyoto avec les négociations PTCI. Le COP19 doit débrousser le chemin d’un tel accord qui pourrait être signé à Paris en 2015. Il est d’ailleurs prévu que les négociations PTCI devraient aboutir autour de la même période. Et bien que conclure un accord climatique est complexe – l’engagement américain est en grande partie dépendant des efforts que la Chine et l’Inde sont prêtes à faire – certains liens entre les deux dossiers (Paris 2015 et PTCI) leurs seront sans doute bénéfiques. Non seulement il est nécessaire que cet accord s’inscrive dans les accords environnementaux multilatéraux dont ceux des Nations Unies, mais également que le PTCI soit instrumentalisé pour faciliter la conclusion de tels accords. Enfin, en raison de l’échelle du PTCI, l’accord trouvé pourrait être un levier important pour atteindre des objectifs qui dépassent le cadre transatlantique. Alors que de nouveaux géants économiques émergent, les USA et l’UE peuvent mettre en place des normes au lieu de risquer de les subir.

Le climat ne se soucie pas des frontières, et de ce fait les gains, pour les hommes et femmes politiques nationales, de l’action climatique sont faibles. Mais le PTCI représente une opportunité de s’attaquer au changement climatique à l’échelle mondiale tout en capitalisant politiquement sur cette action. A Washington, les mesures économiques et climatiques sont bloquées dans le marasme de la politique interne qu’est le capitole. C’est pourquoi une poussée du commerce extérieur peut servir les intérêts économiques intérieurs tout en étant une nouvelle arme contre le réchauffement climatique. Dans cette année d’élection, l’UE pourrait montrer les bénéfices d’une négociation menée en tant qu’Union ambitieuse et unie, particulièrement face aux voix eurosceptiques qui montent en puissance. De bien des points de vue, l’UE avec sa feuille de route 2050 est une pionnière à l’échelle mondiale en matière d’action climatique, et le PTCI lui permettrait de prouver sa détermination en la matière. Mais, plus important encore, les États-Unis et l’Union européenne, pourraient se servir du levier qu’est le PTCI et définir les normes mondiales de développement durable qui guideront en grande partie le développement des géants émergents.

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