Trump

La santé américaine après Obama - nécrologie depuis la ville de New York

Sam Proesmans est l'un des trois médecins qui ont participé à Flying Doctors, étudiant à la Columbia University à New York et membre du Groupe du vendredi. Cet article est également paru dans L’Echo du 10 mars 2017.

« Nous ne devons pas faire entrer ces immigrants. Ils nous coûtent 30 % de notre budget de soins de santé. » Soudain, notre conversation prend un tour étrange. Le sympathique Américain qui attend devant moi dans la longue file du Musée Guggenheim de New York s’avère être un fervent partisan de Trump. Auparavant, il expliquait être manager de plusieurs cabinets médicaux. Ironie du sort, car indépendamment du fait que son affirmation est incorrecte (la réalité est plus proche de 0,18 %), il y a de grandes chances qu'un certain nombre d'immigrants travaillent dans l’un de ses cabinets. En effet, un médecin américain sur trois est d'origine étrangère et a été formé à l’étranger. Dans les zones rurales, la proportion passe même à un sur deux. Des chiffres exceptionnellement élevés, auxquels les États-Unis ont en grande partie négligé de remédier ces 60 dernières années. Il faut dire qu’ils n’avaient aucune raison de le faire : non seulement c’est moins cher que de former ses propres médecins, mais la qualité des soins promulgué par des médecins étrangers est souvent meilleure que celle des médecins américains, selon une étude menée auprès de 45.000 médecins et récemment publiée dans le British Medical Journal.

Un avantage que les États-Unis risquent de perdre désormais : l'impact immédiat de l'interdiction d’entrée aux États-Unis pour 'seulement' 6 pays est que 15.000 médecins (2 % du total des médecins aux États-Unis, ou l'équivalent d'un tiers de tous les médecins en Belgique) pourraient quitter le pays. Outre l'impact immédiat, cette interdiction aura aussi des conséquences considérables sur le long terme : la pénurie de médecins d'ici 2020 avait déjà été estimée à 100.000 sous Obama. Ajoutez à cela les 15.000 cités plus haut, la diminution de l'afflux d’encore plusieurs autres milliers de médecins ainsi que l’effet dissuasif vis-à-vis d'autres pays, et il est certain que les États-Unis sont à la veille d’une pénurie de médecins de très grande ampleur. De plus, augmenter la capacité des formations médicales existantes ne constitue pas une option car, suite à de récentes augmentations de capacité, elles fonctionnent déjà toutes au-dessus de leur limite. Ceci n’est bien sûr qu'un exemple déplorable des nombreuses implications de cette interdiction d’entrée aux États-Unis, laquelle n’est à son tour qu’un exemple lamentable de la non-politique cacophonique de la Maison-Blanche ces 50 derniers jours.

Trump est en outre sur le point d’abroger l’Affordable Care Act, également connu sous le nom d’Obamacare. Sept présidents américains depuis Franklin D. Roosevelt ont tenté en vain de fournir à leur population un accès universel aux soins de santé. Obama avait appris de ses prédécesseurs et accompli quelque chose que personne n'avait fait avant lui : aider plus de personnes que jamais à accéder à l'assurance maladie. Jusqu'à maintenant donc. En effet, 30 millions d'Américains risquent de perdre leur assurance maladie. En 2012, le New England Journal of Medicine, pour ainsi dire la revue médicale la plus prestigieuse du monde, a publié une étude qui révèle qu’une vie est sauvée pour 455 assurés. En d'autres termes, on estime que la politique de Trump menace de se traduire par jusqu'à 66.000 décès supplémentaires par an, soit plus que le nombre d’Américains tués pendant la guerre du Vietnam !

En outre, les réglementations empêchant les compagnies d'assurance de refuser les personnes ayant des conditions préexistantes seraient abrogées. Étant donné qu'on estime qu'un tiers de la population des États-Unis a l’une ou l’autre condition préexistante (par exemple, diabète, asthme, maladie mentale, VIH ou hypertension artérielle), des millions de personnes se verront privées d’assurance et des milliers de décès inutiles viendront encore s’ajouter dans les années à venir. Les États-Unis font incontestablement un grand pas en arrière.

Outre le fait que des millions de personnes risquent de perdre leur assurance maladie, l'écart se creusera entre les riches et les pauvres lorsque Wall Street sera déréglementé et que les riches obtiendront de solides allégements fiscaux, que les classes moyennes et inférieures financeront avec des impôts plus élevés ou une protection sociale inférieure. Ce n’est pas forcément évident pour beaucoup, mais un accroissement des inégalités sociales résultant de la politique fiscale de Trump aura des conséquences réellement désastreuses pour la santé publique dans un pays où, selon un rapport récent de la George Washington University, l'écart entre riches et pauvres en termes d'espérance de vie s’est déjà creusé au cours des 30 dernières années, passant de 6 à 15 ans pour les hommes et de 4 à 13 ans pour les femmes. En outre, une méta-analyse de la Columbia University de 2011 a montré que le nombre de décès dus aux inégalités sociales aux États-Unis s’approche des 900.000 par an, ce qui équivaut au chiffre hallucinant de 35 % du taux de mortalité annuel.

En résumé, ces inégalités sociales donnent lieu à la boutade suivante : « Pour votre santé, votre code postal est plus important que votre code génétique. » Ce code postal symbolise vos conditions de vie, la proximité d'une école pour vos enfants, votre médecin, dentiste, supermarché, un parc pour faire du jogging, le genre de travail que vous effectuez, etc. Celles-ci sont plus déterminantes pour votre santé et votre espérance de vie que le matériel génétique dont vous héritez de vos parents, tel que le risque accru d’infarctus du myocarde ou de cancer du sein. Prenons à titre d’exemple le plan du métro alternatif de 2008 publié par le London Health Observatory, qui démontre à quel point l'espérance de vie varie entre les différentes stations. Selon l'observatoire, l'espérance de vie diminue en moyenne d'un an toutes les deux stations au fur et à mesure qu’on s’éloigne du centre en métro. La même étude réalisée en 2012 a montré une différence de 20 (!) ans dans l'espérance de vie entre le centre de Londres et la périphérie de la ville. La politique économique de Trump, qui accroîtra le nombre de pauvres et rendra la situation des plus pauvres encore pire, aura pour conséquence que leur espérance de vie diminuera encore davantage.

Tout comme l’homme qui me précédait dans la file du musée, le partisan moyen de Trump va bientôt ouvrir de grands yeux lorsqu’il recevra sa feuille d’impôt ou que son médecin mettra la clé sous le paillasson. En d'autres termes, Trump frappe une grande partie de ses électeurs au visage, ce qui me rend encore plus conscient du fait que notre système de sécurité sociale en Belgique, et par extension en Europe, est tout sauf une évidence, et que nous devons plus que jamais en prendre soin. Bien entendu, une évaluation et une adaptation continues sont nécessaires, mais on ne peut qu’envier notre société inclusive, avec des soins de santé et la sécurité sociale pour tous.

Cependant, il y a encore d’autres raisons de s'inquiéter pour la santé publique américaine. Deux exemples : la vaccination et Planned Parenthood.

Les vaccins sauvent chaque année des millions de vies et comptent parmi les plus grandes réalisations de l'humanité, mais malheureusement pas pour certains républicains. Depuis des années, les conservateurs, et en particulier dans les États du sud comme le Texas, mènent campagne contre la vaccination. Leur principal argument - le seul à côté de leur épouvantable freedom of choice - est le prétendu lien entre les vaccins et l'autisme et la croyance en la théorie complotiste selon laquelle le vaccin rougeole-oreillons-rubéole est un moyen de répandre l'autisme à travers le monde. Soupir. La seule étude jamais publiée à ce sujet concernait douze - oui douze ! - enfants. Neuf d'entre eux auraient développé une forme d'autisme peu après l'administration d'un vaccin rougeole-oreillons-rubéole. Mais devinez quoi ? L'auteur principal de l'étude, Andrew Wakefield, avait falsifié et fabriqué les résultats. L'article a été rappelé (ce qui est exceptionnel) et Wakefield s’est vu retirer sa licence médicale. Depuis lors, la communauté médicale n’a cessé de prouver l’innocuité des vaccins : des dizaines d'études réalisées sur des centaines de milliers d'enfants ont été publiées dans un large éventail de revues médicales, toujours avec la même conclusion : les vaccins comptent parmi les médicaments les plus sûrs dont nous disposons. Par contre, l'idiot Trump (idios signifie en grec ‘propre’, ‘particulier’, un idiotes est un ignorant qui ne se préoccupe que de lui-même) a déclaré et tweeté à plusieurs reprises ces dernières années que les médecins sont des menteurs, que les vaccins sont extrêmement dangereux et que nous devons sauver nos enfants et notre avenir. Il a même ouvertement rencontré Wakefield, ce qui a naturellement apporté de l’eau au moulin du mouvement anti-vaccin. Entre-temps, Trump a créé une véritable commission chargée d’étudier l’innocuité des vaccins. Alors que la vaccination était jusque récemment la protection contre des maladies terribles à l’issue potentiellement mortelle ou impliquant une mutilation à vie (la polio, par exemple) et n’est remise en question par aucun médecin ou scientifique, elle est soudain quelque chose qui rend nos enfants malades et autistes. Comprenne qui pourra.

Le scepticisme de Trump envers la vaccination est problématique pour deux raisons. D’abord, parce qu’il est question d’enfants qui, en raison des choix sans fondement de leurs parents, courent un risque accru. Mais qu'en est-il de la liberté de ces enfants ? Comment pouvons-nous garantir leur droit à une vie en bonne santé sans protection contre les maladies graves ? Deuxièmement, la valeur ajoutée des vaccins réside principalement dans l’‘immunité du troupeau’. Cela signifie que nous devons faire vacciner un pourcentage de personnes aussi grand que possible afin d'assurer que le virus ou la bactérie n'a aucune chance de se propager parmi la population. En tant qu'individu, vous êtes en d'autres termes protégé par l'immunité des gens qui vous entourent. Bref, en ne vous faisant pas vacciner, non seulement vous prenez un risque pour votre propre santé, mais vous mettez également celle des autres en danger.

Enfin, parlons encore de Planned Parenthood, l'organisation américaine axée sur la santé des femmes et des filles. L'un des premiers décrets signés par le nouveau président était lié à la suppression du financement pour toute organisation dans le pays et à l'étranger ayant le moindre lien avec l'avortement. Comme Planned Parenthood. Permettre l'avortement dans des situations d'urgence n’est que l'un des nombreux services proposés par Planned Parenthood, comme le dépistage du cancer du sein, du col de l’utérus et des MST, l’éducation sexuelle, le planning familial, etc. Non seulement la santé de centaines de milliers de femmes et de filles se retrouve tout à coup en danger, mais, paradoxalement, cette mesure se traduira justement par davantage d'avortements. Ce qui n’est pas illogique quand on sait que l'avortement n’est qu’un dernier recours et que la contraception en empêche bien évidemment un grand nombre. Au niveau mondial, 85 millions de femmes tombent enceintes involontairement chaque année, ce qui représente 40 % de toutes les grossesses. La moitié d'entre elles optent pour l'avortement, mais en raison de la législation restrictive, plus de 20 millions de femmes le pratiquent d'une manière risquée, avec 70.000 décès à la clé. Étude après étude, il est démontré que plus la législation est conservatrice, plus il y a d’avortements (à risque). En effet, les dizaines de millions de femmes qui choisissent l'avortement ne vont absolument pas changer d'avis parce que quelques vieux hommes blancs en costume sur mesure ont décidé à Washington que ce n’est vraiment pas possible. Ces femmes prennent cette décision parce qu'elles ne peuvent donner aucun avenir à leur enfant, souvent parce qu’elles sont en proie à une extrême pauvreté. Il n’y a pas (encore) de chiffres pour les États-Unis, mais l’ONG Marie Stopes International estime que suite à la suppression des fonds américains, au niveau mondial, 6,5 millions de femmes supplémentaires connaîtront une grossesse non planifiée, 2,2 millions de femmes supplémentaires seront contraintes de pratiquer un avortement à risque et 22.000 femmes supplémentaires mourront. Ces chiffres donnent le vertige, mais espérons que la récente initiative She Decides de la Belgique, des Pays-Bas, de la Suède et du Danemark permettra de prévenir un certain nombre de souffrances.

La politique du parti républicain, dont Trump n’est qu’une voix temporaire, catapultera les États-Unis en arrière dans le temps. À l’époque d’avant Obama, où chaque année, des dizaines de milliers d'Américains décédaient tout simplement parce qu'ils ne pouvaient pas payer leurs soins de santé. Ainsi qu’à l’époque bien antérieure à Obama, si on ajoute les dizaines de milliers de décès supplémentaires résultant de l’augmentation des inégalités sociales, de l'avortement à risque et du refus de vaccination. Même selon les estimations les plus conservatrices, l'avenir de la santé publique aux États-Unis semble particulièrement sombre.