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La démocratie est morte, vive la démocratie !

Les derniers ouragans politiques mettent notre démocratie à mal. Plutôt que d’en défendre vainement le modèle, adaptons-là à notre temps. Maxime Parmentier est économiste et entrepreneur, membre du Groupe du Vendredi en Belgique ; Fabrice Aubert est ancien haut fonctionnaire français spécialisé en innovation, et membre du think-tank Bouger les Lignes en France. Ils écrivent en leur nom. Cet article est également paru dans L’Echo du 16 décembre 2016.

Quelle année tumultueuse ! Le Brexit, Trump, la montée de l’extrême droite en Europe, agitent de vieux démons que nous pensions cantonnés à nos livres d’histoire. Les maux de la crise et de la mondialisation font place au repli et au nationalisme, alimentés par un populisme inédit depuis un demi-siècle. Le projet européen, les politiques humanistes d’accueil ou la solidarité transatlantique : ces fondations de nos démocraties occidentales paraissent vaciller sous la colère des électeurs.

Cette rage n’a rien de surprenant : le monde occidental est en souffrance aigüe depuis la crise de 2007. Le PIB par habitant stagne depuis 10 ans dans les pays avancés, le taux de chômage est supérieur à 10% dans la zone Euro et les indices d’inégalités, comme celui de Gini, sont au plus haut en Europe et aux Etats-Unis. Ecœurés de vaines promesses, comment s’étonner que les citoyens fassent table rase des fondements des démocraties libérales, soit en se détournant du vote, soit en soutenant les partis du retrait et du rejet ?

Pourtant, le tableau n’est pas si sombre. Partout en Europe ou aux Etats-Unis, l’engagement politique croît sous d’autres formes positives : mouvements citoyens de soutien aux migrants en Italie et en Allemagne, collectifs locaux recréant du lien social dans les territoires sinistrés comme la ville de Detroit, mouvements spontanés comme « Nuit Debout » en France ou la « plateforme citoyenne » en Belgique, la liste est longue. Ce que nous vivons, c’est davantage une crise de foi dans le modèle de représentativité : seuls 31% des citoyens européens ont confiance dans leur parlement ou gouvernement alors que la chose politique les intéresse plus encore qu’avant selon l’Eurobaromètre 2015. Le problème est qu’on ne saurait se satisfaire de ces nouvelles alternatives : aucune somme d’associations ne peut remplacer un gouvernement dans la définition et l’exécution de politiques nationales ; et aucun gouvernement ne peut jouer efficacement son rôle s’il n’est pas regardé comme légitime par ses administrés.

Comment, alors, revitaliser nos vieilles démocraties tout en rétablissant légitimité et efficacité ? Nous préconisons quatre mesures.

D’abord, le vote obligatoire doit demeurer un principe fondamental. Il ne peut y avoir de démocratie légitime et efficace lorsque les décisions n’y sont prises que par une fraction de la population. Comment Donald Trump peut prétendre à une légitimité de représentation si seuls 48% des américains ont voté ? Quelle crédibilité donner à un Brexit sanctionné par 37% des britanniques puisque 28% d’entre eux s’abstinrent ? En 50 ans, la participation au vote a baissé de 15% en Europe. Même en Belgique, le taux de participation, pourtant obligatoire, diminue chaque année. Il faut dès lors renforcer les sanctions avec une amende fiscale systématique pour absence non justifiée de participation au vote, et les compléter par un stage de citoyenneté obligatoire après trois abstentions.

Dans le même temps, la capacité à voter facilement de chez soi ou en mobilité sur son smartphone doit être le corollaire du vote obligatoire. La maturité technologique, comme par exemple le développement de la blockchain, rend ce projet réalisable dans de bonnes conditions, notamment de sécurité.

Deuxièmement, nous proposons d’assurer un profond renouvellement de la classe politique par une politique radicale de non cumul des mandats, y compris dans le temps. Avec le dernier décret, accouché in extremis, sur le non-cumul des fonctions de bourgmestre et de parlementaire, la Belgique francophone a fait un pas en avant qui doit être consolidé et étendu à tous les parlements belges. En France comme en Belgique, nous proposons par ailleurs une règle de non-cumul dans le temps de plus de 2 mêmes mandats successifs et de 4 mandats de toute nature. Cette limite, correspondant environ à 20 années de mandats, garantirait que toute personnalité politique réalise au moins la moitié de sa vie active dans d’autres fonctions que celles d’élu.

Troisièmement, il nous faut répondre directement à cette volonté d’engagement citoyen, visible partout sauf dans les urnes. 2016 nous a montré les écueils du référendum en matière de démocratie directe. Nous croyons en revanche à la puissance de la démocratie délibérative telle que pratiquée aux Etats-Unis, au Canada, au Danemark ou en Irlande. Il s’agit de confier la prise de décisions, comme la réalisation d’investissements publics ou la conception de réformes institutionnelles, à des assemblées de citoyens tirés au sort. La méthode n’est pas coûteuse et des experts comme David Van Reybrouck en ont déjà décrit la mécanique pratique.

Enfin, pourquoi ne pas exploiter massivement les nouveaux canaux de communication démocratique pour donner une voix au citoyen. Les « civic tech » permettent d’améliorer formidablement le dialogue entre citoyens et représentants politiques, avec des applications comme Fluicity qui sondent la volonté citoyenne sur des décisions concrètes ou favorisent l’expression des habitants.

Aristote disait déjà que le principe fondamental du régime démocratique, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant. Osons innover pour faire évoluer notre modèle représentatif obsolète vers de nouvelles formes. C’est le gage d’une vivacité démocratique et le remède contre le mal politique qui nous tourmente.

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