
La Belgique ne peut se permettre un nouveau morcellement
Le récent accord de gouvernement belge laisse de nombreuses questions ouvertes sur l’avenir de la répartition des compétences entre le niveau fédéral et les régions. Plutôt qu’un nouveau morcellement institutionnel, la Belgique doit privilégier un fédéralisme de coopération, fondé sur une coordination stratégique des investissements et des politiques publiques, soutient Melodie Geurts du Groupe du Vendredi.
Le débat semblait pourtant tranché avant les élections : la note des négociateurs évoquait un transfert accru de compétences, et le président de la N-VA martelait encore en début d’année la nécessité d’une nouvelle réforme de l’État. La ligne dure plaidant pour une régionalisation renforcée s’est cependant heurtée à la réalité des équilibres politiques lors des négociations. Résultat : l’accord final reste flou sur l’ampleur des transferts et ouvre un espace pour des solutions plus nuancées.
C’est une excellente nouvelle, car cette absence de clarté crée une opportunité : celle d’un fédéralisme de coopération, fondé sur des accords stratégiques entre niveaux de pouvoir. La Belgique a déjà démontré que cette approche pouvait fonctionner, notamment dans des secteurs où l’interdépendance régionale est forte : hydrogène, décarbonation industrielle, technologies de pointe. En consolidant cette dynamique, le gouvernement peut renforcer l’efficacité des investissements publics et garantir une vision de long terme, au bénéfice de tous.
Dans un contexte de transitions majeures – écologique, numérique, industrielle –, il est essentiel de s’appuyer sur une planification concertée et des outils de coordination efficaces. Une planification économique à long terme est essentielle pour permettre aux entreprises et industries belges d’investir sereinement et de s’adapter aux transformations en cours. Ce gouvernement a donc une responsabilité claire : au lieu de se laisser enfermer dans des clivages institutionnels stériles, il doit saisir l’opportunité de structurer des coopérations ambitieuses, capables de maximiser l’impact des politiques publiques et de renforcer la position de la Belgique en Europe.
L'État stratège : un levier pour la compétitivité et la résilience
L’État stratège n’est pas simplement un concept théorique : il incarne une vision d’un gouvernement actif, capable d’anticiper les crises et de prendre les devants en matière de planification, d’investissements et de soutien à l’industrie. La Belgique a démontré à plusieurs reprises que l’intervention de l’État est un facteur clé de résilience. L’indexation automatique des salaires a permis de préserver le pouvoir d’achat et de stabiliser l’économie face aux chocs inflationnistes. De même, les investissements publics dans des secteurs stratégiques ont joué un rôle déterminant pour soutenir l’activité et renforcer la compétitivité.
Le précédent gouvernement avait amorcé une dynamique en relevant progressivement le taux d’investissement public, avec un objectif de 3,2 % du PIB en 2024 et de 4 % en 2030. Cette trajectoire visait à consolider la transition écologique et numérique en s’appuyant sur une planification cohérente et coordonnée au niveau interfédéral. Ces dépenses publiques doivent s’accompagner d’une planification cohérente, ambitieuse et coordonnée au niveau interfédéral pour garantir que les fonds soient dirigés vers des projets stratégiques, et non simplement une réaffectation de dépenses existantes.
Or, la nouvelle coalition prévoit un changement de cap : réduction à 3 % du PIB, coupes budgétaires généralisées, sauf pour la défense, qui bénéficiera de 1,1 milliard d’euros d’ici 2029 (hyperlien L’Echo). Ces choix risquent de ralentir l’élan et d’aggraver la fragmentation des actions gouvernementales. Une révision des priorités s’impose pour assurer une résilience durable, en optimisant l'impact des investissements publics.
Simplifier et coordonner pour un fédéralisme efficace
L’économie belge repose sur une forte interconnexion régionale: la Flandre exporte davantage vers la Wallonie que vers l’Allemagne ou la France. Derrière les clichés et les oppositions politiques artificielles entre le Nord et le Sud, la réalité est celle d’un tissu économique profondément imbriqué (hyperlien L’Echo). Le véritable potentiel de la Belgique réside dans sa capacité à coordonner les actions de ses entités fédérées tout en renforçant la solidarité nationale. Des succès le prouvent : la politique fédérale sur l’hydrogène (hyperlien L’Echo) a positionné la Belgique comme un acteur clé en Europe, profitant aux deux régions, et le secteur spatial, historiquement wallon, se développe en Flandre grâce à des synergies industrielles. À l’inverse, l’absence de coordination freine des projets essentiels comme le réseau de transport de CO₂, limitant la décarbonation industrielle. L’optimisation de la coopération entre les régions et le fédéral est donc cruciale pour exploiter pleinement les secteurs stratégiques.
La coopération fédérale : clé de voûte d’une stratégie cohérente
La crise du COVID a mis en évidence l’absurdité d’une fragmentation excessive, avec neuf ministres en charge de la santé. Plutôt que de chercher à réformer l’État par des majorités de 2/3, il est plus réaliste de viser une refédéralisation partielle via des accords de coopération dans des domaines stratégiques (santé, investissements, industrie) amélioreraient l’efficacité du système.
Une approche plus centralisée peut réduire les doublons administratifs et garantir une réactivité accrue en temps de crise. L'objectif ne doit pas être d’opposer centralisation et régionalisation, mais de rechercher un équilibre pragmatique, garantissant à la fois efficacité et subsidiarité. Ces accords de coopération dans ces secteurs clés permettraient de dépasser les clivages institutionnels pour avancer sur des projets concrets comme l’hydrogène, la décarbonation ou les infrastructures critiques.
Assumer une vision stratégique à long terme
Le nouveau gouvernement devra préserver les avancées récentes en matière d’investissements stratégiques tout en définissant une feuille de route ambitieuse. Les clivages politiques ne doivent pas être un obstacle au développement économique et industriel du pays. La coopération entre la Wallonie et la Flandre doit être envisagée non pas comme une contrainte, mais comme une opportunité : l’une des régions les plus dynamiques d’Europe jouxte un territoire en redéploiement, offrant des opportunités uniques pour renforcer la compétitivité de l’ensemble du pays. La Belgique dispose de talents, de capacités de recherche et d’un tissu industriel interconnecté à valoriser par une concertation efficace entre le fédéral et les régions.
Une trajectoire d’investissement ambitieuse dans la transition environnementale, le numérique, l’innovation industrielle et la résilience sociale est essentielle. Il est temps de dépasser les clivages institutionnels et de privilégier des solutions concrètes pour renforcer la compétitivité et la soutenabilité du pays. Face à l’urgence climatique et aux transformations économiques, seule une planification à long terme sera efficace.