Et si l'absence de gouvernement devenait une opportunité démocratique ?
Depuis 2007, la Belgique cumule plus de 1,400 jours sans gouvernement fédéral. Près d’un quart des 20 dernières années s’est écoulé sans véritable leadership politique. En 2024, c’est la Région de Bruxelles-Capitale qui s’enlise à son tour dans la paralysie - avec plus d’un an sans exécutif régional. Face à cette vacance chronique du pouvoir, une alternative se dessine: celle d’une démocratie citoyenne en action. Une tribune de Zoë Frisvold, dans le cadre de la série d’été du Groupe du Vendredi, dédiée à la résilience.
Au-delà de ces chiffres impressionnants, cette instabilité chronique empêche l’État d’agir efficacement dans un contexte d’urgence - budgétaire, climatique, environnementale et sociale. Ce sont les citoyens qui en paient le prix. La démocratie belge s’essouffle. En mai dernier, une enquête nationale révélait que seuls 26 % des Wallons et 33 % des Bruxellois se disent satisfaits de la démocratie. En Flandre, une légère remontée est observée, mais la méfiance reste élevée, sans compter la polarisation croissante des opinions accentuée par les réseaux sociaux. Le Vlaams Belang, désormais deuxième parti flamand, en est un symptôme.
La complexité institutionnelle belge et son système proportionnel poussé à l’extrême ont entraîné une fragmentation politique propice aux blocages. Et si ces périodes d’absence de gouvernement devenaient une opportunité pour expérimenter de nouvelles formes de gouvernance ? Une démocratie belge plus résiliente, où les citoyens reprennent la main lorsque les partis sont dans l’impasse.
Qu’en est-il des pistes déjà explorées pour revitaliser notre démocratie ?
L’expérience fondatrice du G1000 menée par David van Reybroeck en 2011 a mis en exergue des outils sur la mise en place de la démocratie participative notamment le tirage au sort des citoyens, et les préférendums - permettant à tous d’exprimer un avis moins polarisant que les référendums.
Aujourd’hui, la démocratie participative existe dans notre pays : le dialogue citoyen permanent en Ostbelgien, au niveau local en Flandre, des commissions délibératives en Wallonie, et enfin le Service de la Participation en Région bruxelloise – un réel outil d’encadrement de la démocratie participative à Bruxelles. Bruxelles a sa propre assemblée permanente pour le climat, une première mondiale! Plus récemment, une initiative de 6 think tanks a réuni des citoyens et des experts proposant une réforme du financement des partis politiques.
Ces initiatives ont offert des recommandations précieuses sur des enjeux politiques majeurs. Ces dernières semaines, d’autres propositions ont vu le jour, comme la transformation du sénat en chambre citoyenne, ou l’organisation d’une commission délibérative sur l’usage de la voiture à Bruxelles. L’innovation démocratique semble bénéficier d’un véritable élan !
Ces dispositifs partagent un atout commun : En recréant un lien direct entre les citoyens et les décisions politiques, hors du prisme partisan, ils ravivent la confiance dans les institutions démocratique et freinent la progression des discours populistes.
Mais leur impact reste limité à des recommandations consultatives, sans effet contraignant. Dans le cadre constitutionnel actuel, ce mécanisme de gouvernance participative ad interim ne pourrait être consacré légalement et garderait, sauf réforme constitutionnelle, uniquement une fonction consultative. Sans encadrement juridique clair, le préférendum pourrait par ailleurs soulever des tensions avec certains principes de la démocratie consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.
Représentation en panne, participation en route
Pour aller plus loin, pourquoi ne pas institutionnaliser une prise de relais citoyenne lors des blocages politiques prolongés, à travers les outils du G1000 ? Dès un délai de 100 jours sans gouvernement, une assemblée citoyenne tirée au sort se forme afin de gouverner durant la période de blocage politique. Composée de 25 à 50 citoyens reflétant la diversité de la population, elle aurait pour mandat de formuler des politiques d’urgence, avec l’appui des administrations en affaires courantes.Un préférendum serait organisé pour évaluer et valider ces propositions à l’échelle de la population, avant transmission au Parlement.Ce mécanisme permettrait de restaurer le lien démocratique, et de rompre avec l’immobilisme quand une coalition politique semble impossible.
Alors, face aux impasses politiques à répétition - symptôme singulier de la démocratie belge - n’est-il pas temps de franchir un cap ? Et si l’absence de gouvernement devenait non plus une faiblesse mais la force d’une exception belge : transformer la paralysie institutionnelle en élan démocratique ? Un mécanisme de gouvernance participative pourrait insuffler une nouvelle dynamique, vivante et inclusive, ne serait-ce que par sa portée symbolique. Une démocratie en mouvement, capable d’affronter les défis contemporains.