
Entendre le cri d’un tissu social en hémorragie
Melodie Geurts, fondatrice de l’asbl Educonsent et membre du Groupe du Vendredi
“Ce matin, ma responsable m’a annoncé qu’on devait fermer deux services, faute de financements. On aide des jeunes en rupture familiale. En septembre, on ne pourra plus les accueillir. Et dans un mois, je me retrouve sans emploi, avec un nouveau-né, dans un secteur complètement saturé.” Ce témoignage résume brutalement ce que vit une part croissante du monde associatif. Le tissu social, amortisseur essentiel en temps de crise, est aujourd’hui à bout de souffle. Melodie Geurts, du Groupe du Vendredi, attire notre attention sur cette situation alarmante.
Le paysage macroéconomique met certes tous les secteurs sous pression. Cependant, affaiblir les associations, c’est démanteler une ligne de défense centrale face à la pauvreté, à l’exclusion et aux tensions sociales. Depuis des mois, les signaux d’alerte s’accumulent : licenciements massifs, coupes budgétaires, précarité croissante des structures. En cause : la baisse des financements publics, l’instabilité politique et la menace sur la déductibilité fiscale des dons. À force de rogner sur les piliers les plus solides de la cohésion sociale, c’est toute notre résilience collective qui vacille.
Des pistes évidentes doivent être rapidement mises en place : le maintien de la déductibilité fiscal des dons à 45%, réévaluer les politiques d’austérités des différents gouvernements afin de soutenir adéquatement ce secteur, assurer des financements pluriannuels afin de permettre une plus grande stabilité et prévisibilité essentiel au monde associatif.
Le filet de sécurité du modèle belge
Le monde associatif est un secteur qui représente une économie à part entière ainsi que plus de 12 % de l’emploi en Belgique, mais surtout une force de stabilisation sociale. Les associations jouent un rôle central dans l’accueil, le soin, l’éducation, la culture, la lutte contre la pauvreté et la discrimination ou encore la cohésion entre générations. Lors de la pandémie de COVID-19, ce sont elles qui ont maintenu le lien social, soutenu les personnes isolées, distribué des repas et du matériel sanitaire, accompagné les familles. Face à la crise énergétique, elles ont mis en place des guichets de soutien, des distributions de colis et des permanences d’aide. Elles pallient encore aujourd’hui les manquements en matière de logement, d’accueil des migrants, d’accompagnement des sans-abris.
Quand l’État recule, ce sont les associations qui tiennent. Les affaiblir, c’est saper une ligne de défense essentielle contre la polarisation, l’exclusion et le repli. Nos décideurs semblent avoir la mémoire courte. Le monde associatif a prouvé, crise après crise, qu’il était le rempart silencieux de notre cohésion sociale.
Un milieu associatif sous pression
Tout d’abord, les coupes budgétaires directes et les financements publics réduits poussent les ASBLs dans une détresse financière et un manque de prévisibilité accru. Par exemple, certains secteurs d’action voient les subsides réduits à hauteur de 25%. En Wallonie, les aides facultatives ont tout bonnement été supprimées depuis la fin de l’année 2024. La Codef (fédération multisectorielle du secteur associatif qui représente 650 associations actives en Wallonie) indique que la fin des subventions facultatives décrété par le gouvernement wallon menace directement 13% des ASBLs wallonnes. Selon la Codef, 37 % des associations qui survivent à la perte des aides facultatives devront réduire leur champ d’action. Moins de projets, moins de publics aidés, moins de capacité à innover ou répondre aux urgences sociales.
Concernant les donations, les citoyens et entreprises ont actuellement la possibilité d'obtenir une réduction d’impôt jusqu’à 45% en cas de dons. Le nouveau gouvernement fédéral envisage de réduire cette déductibilité fiscale à 30%. Une réduction de la déductibilité fiscale aurait un impact réel sur l’incitation aux dons privés et les actions philanthropiques essentielles à la pérennisation des activités associatives.
Des pistes concrètes pour soutenir le tissu social
Le maintien de la déductibilité fiscale à 45%, pour garder intact le levier philanthropique ;
Un alignement des budgets prévus par les gouvernements actuels par rapport au gouvernement précédent envers le monde associatif afin de soutenir ce secteur ;
Interdire à l’avenir un recul budgétaire supérieur à un seuil critique (ex. 10%) d’une législature à l’autre et ainsi éviter une variabilité importante dans les provisions budgétaires et de fluctuations trop importantes pour les ASBLs ;
Mandater les banques privées et d’intérêt publics à créer des fonds qui financent et soutiennent des associations, à hauteur de 1% de leurs revenus annuels ;
Un financement pluriannuel des associations d’intérêt public, pour garantir leur capacité d’action et de prévision ;
Un tissu social robuste n’est pas un luxe que l’on peut se permettre en période de prospérité, puis négliger en période de stress budgétaire ou politique. Près de 30.000 personnes ont, lors de la manifestation du 22 mai pour le secteur non-marchand, martelé que ce secteur est en suffocation. Ces constats doivent être prises en compte et des actions importantes doivent être menées rapidement afin de ne pas laisser un pilier crucial de notre société s’effondrer.