Contre l’omerta belge, osons un programme plus ambitieux de protection des lanceurs d’alerte
Par Magali Caroline Van Coppenolle, économiste, passionnée de gouvernance financière et membre du Groupe du Vendredi. Également paru dans L’Echo du 18 mai 2018.
Saviez-vous, avant décembre 2016, quel était le point commun entre l’aéroport de Liège, Moustique, ‘l’Hebdo-qui-pique’, mais aussi des investissements éoliens dans le district du Banat méridional? Connaissiez-vous également, toujours avant décembre 2016, les liens entre PubliFin, Finanpart et Nethys, ainsi que leurs différents statuts juridiques ? Si vous venez de répondre par la négative aux deux questions précédentes, il semble raisonnable de penser que vous faisiez partie de la majorité écrasante des belges, avant décembre 2016 et les révélations de Cédric Halin dans le Vif/ L’Express.
Trois mois plus tard, en mars 2017, La Libre/ RTBF commissionne un sondage sur « L’Affaire PubliFin », dont voici quelques statistiques intéressantes. Une majorité des sondés (52 %) estime que des dispositifs, tels PubliFin, sont « des systèmes permettant aux partis politiques de caser leurs fidèles dans des fonctions bien rémunérées », et plus d’un quart des sondés (28%) pensent que les affaires démontrent que « nombres d’institutions créées se révèlent inutiles, coûteuses et sont dévoyées de leurs buts initiaux ».
Les affaires se suivent, les désordres se ressemblent
En 2017, les affaires se suivent et les constats se ressemblent. Suite à « l’Affaire du SamuSocial », Kristof Titeca, de l’Université d’Anvers, publie un article intitulé « Bruxelles fonctionne : le désordre comme instrument politique ? ». Il ressuscite une théorie développée vers la fin des années nonante dans le but d’analyser des systèmes de gouvernance en Afrique et dont la thèse principale est la suivante : le désordre est un instrument politique potentiellement avantageux, caractérisé, entre autres, par l’informalité ainsi que l’inefficacité et la complexité institutionnelles. Des dirigeants politiques peuvent exploiter ce désordre pour renforcer leur pouvoir, accumuler des ressources et les redistribuer à leur base de support. En recasant par exemple leurs fidèles dans des fonctions bien rémunérées ! Les sondés avaient vu juste : de cette théorie, la Belgique, en général, et Bruxelles, en particulier, seraient des cas d’école.
Le désordre en tant qu’instrument politique entre en confrontation directe avec les principes de bonne gouvernance de nos institutions publiques et de leur financement. L’opacité et la complexité engendrent une asymétrie de l’information dans laquelle des initiés au système ont une bien meilleure connaissance des mécanismes en place que des agents externes, tels que les organismes de contrôle. La concentration des ressources, et leur redistribution au réseau de support, garantissent la loyauté des participants, et l’omerta. Des initiés qui décideraient de devenir lanceur d’alerte sont dès lors des informateurs rares et précieux. Trouver celui qui crachera dans le waterzooi peut s’avérer difficile. Difficile certes, mais pas impossible.
Lanceurs d’alerte en Belgique : une protection timorée
Transparency International estime que la Belgique offre aux lanceurs d’alerte une protection « partielle ». Ceci étant dû, sans surprise, au fait que cette protection diffère selon les niveaux de pouvoir. A Bruxelles et en Wallonie, malgré des discussions en ce sens, aucune protection n’est offerte à ce jour. Au niveau fédéral, ainsi qu’en Flandre, des cadres législatifs existent et les mécanismes de protection sont similaires : la protection s’étend aux employés d’administrations publiques, et certains organismes d’intérêt public, sous condition du respect des procédures de lancement d’alerte telles que prescrites par les lois. Jugées recevables, ces alertes font alors l’objet d’enquêtes par un organisme indépendant de l’exécutif, le Centre Intégrité du Médiateur Fédéral au fédéral et Audit Vlaanderen en Flandres.
La problématique de cette protection partielle ne s’arrête pourtant pas à sa décentralisation. Tout d’abord, si le lanceur d’alerte décide de ne pas suivre les procédures prescrites par la loi et de passer, par exemple, par la voie médiatique en utilisant des systèmes cryptés type ‘Source Sûre’, il ou elle ne bénéficiera d’aucune protection. Au-delà des considérations sur la crédibilité des procédures internes, certains cas d’atteinte présumée à l’intégrité dépassent le cadre strict de la légalité et entrent dans le débat plus ouvert de l’éthique, un débat citoyen et non procédural. Enfin, la protection offerte n’est pas étendue à tous les organismes ou institutions financés par de l’argent public. Sont par exemple exclus les sociétés de droit privé ou associations sans but lucratifs finances par de l’argent public, tel PubliFin. Cette discrimination entre organismes aux financements publics crée des zones d’ombres où le désordre aura vite fait de s’engouffrer.
Revoyons nos ambitions, et celles de nos représentants, à la hausse
Après cinq ans d’existence, la loi fédérale du 15 Septembre 2013, fait maintenant l’objet de discussions en vue de l’amélioration de sa mise en application. Une occasion d’introduire dans le débat, entre autres, l’élargissement de la couverture de protection au-delà de l’utilisation des procédures internes ainsi qu’à tous les organismes financés par de l’argent public. Osons une protection plus volontariste des lanceurs d’alerte dans le secteur public et sus au désordre !