
Comment la Belgique prépare-t-elle sa population à la crise permanente ?
Dans un monde marqué par l’instabilité permanente, comment renforcer la résilience collective en Belgique ? Dans ce second épisode de la série estivale du Groupe du Vendredi dédiée à la résilience, Julien De Wit explore les failles - mais aussi les pistes d’action - pour mieux affronter les crises à venir.
L’actualité ressemble aujourd’hui à un carambolage au ralenti. L’Ukraine. Gaza. Le climat qui se dérègle. La désinformation qui s’emballe. Le monde donne l’impression de vivre dans une crise permanente.
Les crises ne datent pas d’hier. Mais pour ceux qui, comme moi, sont nés en l’an 2000, la séquence a déjà été lourde : la crise financière de 2008, les attentats, le covid, la guerre en Ukraine… Était-ce plus stable autrefois ? Si j’étais né dans les années 1930, mon enfance aurait sans doute été tout aussi tourmentée.
Ce qui change aujourd’hui, c’est l’impression d’une crise permanente - et ce sentiment pèse lourd sur notre équilibre collectif. Il faut le reconnaître : le capital mental de la nation est fragilisé. Et il y a de quoi s’inquiéter quant à notre capacité de résilience si une nouvelle catastrophe devait survenir.
Selon Sciensano, près d’un adulte belge sur cinq présente aujourd’hui des symptômes d’anxiété ou de dépression. Les jeunes sont les plus touchés : leur bien-être psychologique est au plus bas. Et cela sans même évoquer le stress chronique, les troubles du sommeil, ou cette paralysie intérieure que beaucoup connaissent - ce “à quoi bon ?” qui finit par s’installer..
On parle de fatigue mentale. Mais il s’agit peut-être d’autre chose : une perte de résilience, diffuse, collective.
Soyons clairs : la résilience n’est pas une question de tempérament, ni une injonction à “se reprendre”. C’est une capacité. Une capacité qui se construit - ou s’érode - par les choix politiques, éducatifs, sociaux. Par la manière dont nous organisons notre société.
Cette résilience détermine combien de temps un pays, une population ou une organisation peut tenir bon quand tout vacille. En 2025, ce n’est plus une précaution - c’est une condition de survie.
Parmi les chantiers urgents, l’un concerne notre rapport à l’adversité. L’école prépare de moins en moins les enfants à affronter les difficultés. La critique devient taboue, l’échec est évité. Mais si on ne peut pas apprendre à tomber, comment se relèvera-t-on ?
Autre carence : l’absence de repères clairs en cas de crise. D’autres pays ont pris les devants. En Suède, chaque ménage reçoit un manuel “En cas de guerre ou de crise”. En Finlande, l’éducation aux médias est enseignée dès l’école. En Israël, des centres de résilience forment les habitants à affronter l’imprévu. En Belgique ? Rien de tel. Pourtant, les inondations de 2021 ou la désorganisation autour des masques sanitaires en 2020 ont bien montré l’importance d’un cadre préparé.
Les experts de la CIA utilisent le modèle IKE : Information, Knowledge, Experience. En situation complexe, il faut des données fiables, des repères solides, et de l'entraînement. En Belgique, les citoyens n’ont ni l’un, ni l’autre. Encore moins le troisième.
La résilience est aussi collective. En temps de crise, une gouvernance claire, cohérente et incarnée n’est pas un luxe - c’est un impératif. Quand l’État communique avec transparence, agit de manière lisible, et montre qu’il tient la barre, la population se sent moins seule.
Même dans l’incertitude. Cette confiance constitue le socle de la stabilité psychologique. On supporte mieux l’inconnu quand on sait qu’il y a un plan, un pilote, et qu’on est écouté.
Or en Belgique, cette structure rassurante manque trop souvent, à tout niveau de pouvoir. Notre gestion de crise est fragmentée, technocratique, rarement répétée. Cela affaiblit l’action publique - mais aussi le moral collectif.
Dans les pays où un visage incarne la réponse, où les scénarios sont testés, où les chocs sont traités de manière partagée, les citoyens restent plus calmes, plus vigilants, plus résilients.
La leçon est claire : un État préparé, transparent et humain rend sa population non seulement plus sûre, mais aussi plus solide psychologiquement. Car au fond, la résilience repose sur une conviction : le système ne vous laissera pas tomber.
La question n’est donc pas si d’autres crises vont survenir - elles surviendront. La vraie question est : comment éviter qu’elles nous brisent intérieurement ?
L’État porte ici une responsabilité première. Un pilotage anticipé et humain génère de la confiance - et la confiance est le carburant de la résilience.
Mais l’éducation, les médias, les soins de santé doivent aussi réinvestir dans ce qui ne “rapporte” pas tout de suite, mais sauve quand tout tangue.
Si nous persistons à considérer les citoyens comme de simples spectateurs, leur capacité de résistance sera déjà entamée au moment où la prochaine crise commencera.
La résilience n’est pas une affaire d’individus. C’est une décision collective. La Belgique peut encore faire ce choix. Mais il faut le faire maintenant.