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Agression sexuelles : en finir avec la double peine pour les victimes

Mélodie Geurts, co-fondatrice d’Educonsent, une asbl qui se consacre à la sensibilisation et à l'éducation au consentement, touchant toutes les tranches d'âge.

Les chiffres sont alarmants. En Belgique, selon les estimations, 48% des Belges ont été victimes d’une forme d’agression sexuelle au cours de leur vie (source). Un grand nombre de victimes de violences sexuelles ne portent pas plainte, avec moins de 10% des cas dénoncés en Belgique (source). En 2020, Amnesty Belgique rapporte que 53% des affaires de viols sont classées sans suite (source).

Danièle Zucker, spécialiste en analyse du comportement criminel (plus spécifiquement des violeurs), rapporte que 1% des auteurs de crimes aboutissent à une condamnation effective. Elle explique qu’en Belgique, les victimes sont encouragées à porter plainte, “ Mais les condamnations ne suivent pas. C’est pervers : dire aux victimes de porter plainte et ne pas réserver de suites pénales. Quel mauvais signal à la société. Il faut changer nos mentalités. Pas demain, maintenant." (source)

Mme Zucker insiste très justement sur cette dichotomie. La parole sur ces sujets commence à se libérer depuis peu, mais les campagnes d’encouragement à porter plainte butent face à une justice qui peine à se mettre à niveau. Ces données révoltantes révèlent l'ampleur d'un problème qui nécessite une réforme immédiate et significative du système judiciaire.

Au cœur de cette problématique se trouvent deux obstacles nécessitant des mesures urgentes. Premièrement, la fréquence élevée de classements sans suite des plaintes pour violences sexuelles constitue une véritable barrière à la justice. Deuxièmement, la double peine subie par les victimes, résultant en des interrogatoires inappropriés et des délais de justice allant parfois jusqu’à 5 ans, aggravent leur traumatisme et les dissuade de porter plainte.

Pour remédier à ces défis, il est impératif de se concentrer sur des réformes ciblées. Tout d'abord, il est essentiel de réduire le temps de procédure extrêmement long et en renforçant, entre autres, la coordination entre les acteurs judiciaires qui souvent fait défaut et entrave la qualité et la rapidité des procédures.

Deuxièmement, il est nécessaire de renforcer les formations obligatoires pour les acteurs judiciaires, y compris les policiers, les experts du parquet, les juges d'instruction et du tribunal correctionnel. Malheureusement, ces formations obligatoires sont souvent négligées, y compris celles destinées aux experts psychologiques, qui peuvent influencer de manière inappropriée les évaluations des auteurs ou des victimes, créant ainsi un fardeau émotionnel supplémentaire pour les victimes.

Les cas de violences sexuelles et la prise en charge des victimes nécessitent un traitement spécifique, en raison des réactions émotionnelles propres à de telles agressions, notamment la honte, la peur et la sidération qui peut être grandement améliorée par des formations. En s'inspirant des meilleures pratiques internationales, la Belgique peut mettre en place des procédures judiciaires spécialisées, des mécanismes de signalement indépendants et des programmes de sensibilisation efficaces. Ces modifications aideront les deux problématiques clés mentionnées, en réduisant les cas de classements sans suite et de doubles peines pour les victimes.

Plus largement, la mobilisation de la société belge, à travers des programmes d'éducation publique, est essentielle pour changer les attitudes et promouvoir le respect des limites personnelles et réduire, à terme, le nombre exorbitant de victimes de violences sexuelles.

L'urgence d'agir en Belgique en rendant prioritaire une réforme de la justice en matière de violences sexuelles est indéniable. Cette transformation profonde doit garantir un soutien adéquat aux victimes et envoyer un message clair que les violences sexuelles ne seront plus tolérées dans la société belge et nos victimes plus laissées pour compte. Il est temps de passer de la sensibilisation à l'action, en concentrant nos efforts sur des réformes concrètes qui répondent aux problèmes de délais, de classements sans suites et de double peine, assurant ainsi une justice plus juste pour toutes et tous.

France, Paris, 2022-11-19. Demonstration NousToutes against gender-based and sexual violence, from Republic to Nation. Photograph by Claire Serie / Hans Lucas. France, Paris, 2022-11-19. Manifestation NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles, de Republique a Nation. Photographie de Claire Serie / Hans Lucas (Photo by Claire Serie / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP) ©Hans Lucas via AFP