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Pour une stratégie numérique ambitieuse et inclusive

Si la crise du covid a donné un coup de boost à l’enseignement par le numérique, notre système éducatif manque encore d’un plan ambitieux pour un enseignement au numérique. Le Pacte d’Excellence en a pourtant fait un de ses points stratégiques. Les initiatives actuelles sont cependant insuffisantes ou trop lentes.

12 février 2032, il fait étonnamment ensoleillé et doux pour la saison, Sofia décide de prendre sa pause de midi en terrasse. Voici déjà 5 ans qu’elle travaille comme Software Architect. Elle se remémore son parcours. Dès les premiers cours d’initation aux algorithmes en primaire, elle a directement accroché. Ce fut pour elle une évidence qu’elle s’orienterait dans le développement logiciel.

Un parcours comme un autre, me diriez-vous? Malheureusement, celui-ci a peu de chance de voir le jour, au vu de l’état actuel de la formation au numérique à l’école et du manque de diversité qu’il entretient.

Les initiatives telles que #Wallcode, Wallonia Wonder Women sont des pas dans la bonne direction, mais ont un impact limité, ne touchant qu’une faible portion de la population étudiante.

Bien que Pacte d’Excellence ai fait du numérique un de ses points stratégiques, ses réformes concernant l’éducation au numérique sont trop peu ambitieuses et ne seront implémentées que dans bien trop longtemps. L’éducation au numérique n’est envisagée que sous forme d’ateliers ponctuels, réfutant l’utilité de la création d’un cours dédié. De plus, le tronc commun ne concerne que les élèves ayant débuté leur scolarité en 2020 et donc diplômés en 2038, au mieux.

Nous nous devons d’élaborer une stratégie numérique plus ambitieuse. Afin de donner à la nouvelle génération les compétences nécessaires pour faire face aux enjeux de la société numérique de demain, et ce de façon inclusive.

Etat d’urgence numérique

Une étude d’Agoria publiée fin 2018 estime que plus de 105.000 postes pourraient être vacants dans le secteur IT en Belgique en 2030. Cette même étude chiffre à 60 milliards d’euros le manque à gagner pour l’économie belge dû à ces postes vacants[1]. La guerre des talents fait rage dans l’IT, comme en témoignait Fabien Pinckaers, fondateur d’Odoo, fin 2019[2]: “Nous cherchions à embaucher 180 développeurs en Belgique, l’Université de Louvain n’en forme que 80 par an. Le problème est vite résumé”.

Le problème est à la fois économique et sociétal. La plupart des projets d’initiation au code proviennent d’initiatives privées et ponctuelles, telles que CoderDojo ou encore Kodo. Ce sont donc les parents les plus prévenants ou encore les écoles les plus proactives qui en font bénéficier leurs enfants.

Notre enseignement étant l’un des plus inégalitaires de l’OCDE, les enfants provenant de familles moins favorisées ont peu de chances de bénéficier de ces initiatives. Cela contribue au manque de diversité dans le secteur technologique. Dans un monde où les algorithmes prennent de plus en plus de place, est-il acceptable que ceux-ci soient majoritairement développés par une certaine catégorie de la population ?

Certains effets pervers du manque de diversité dans la création d’algorithmes se sont déjà fait ressentir ces dernières années. Par exemple, une IA de Facebook concernant une vidéo contenant des hommes noirs a posé au consommateur la question suivante: «Voulez-vous voir plus de vidéos sur les primates?». Plus généralement, les algorithmes de reconnaissance faciale ont fait preuve de nombreuses erreurs d’identification sur des personnes non-blanches. Alors qu’il y a une volonté politique d’utiliser de plus en plus ces algorithmes d’IA dans des décisions de justice[3], nous sommes en droit de nous inquiéter sur les conséquences de ce manque de diversité.

Le fait de faire reposer la responsabilité de l'initiation au code à la sphère privée contribue à amplifier les stéréotypes de genre. Les données de Coder Dojo Belgium, une ASBL permettant aux jeunes de 7 à 18 ans d’apprendre le code, parlent d’elles même: on a compté 23% de filles pour 77% de garçons à leurs ateliers en 2018[4]. Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 14% [5] des spécialistes en ICT.

Si nous voulons créer un monde numérique inclusif, la formation au numérique doit impérativement faire partie intégrante du programme scolaire, et ce au plus vite. Chaque année d’inaction est un pas de plus vers la pénurie de talents et un monde numérique plus inégalitaire.

Publié le 11 février 2022 dans l'Echo


[1] Agoria. (2018, September 19). “Be the change”: plus d’offres d’emploi que de demandeurs à partir de 2021. Agoria.be. https://www.mynewsdesk.com/fr_be/agoria/pressreleases/be-the-change-plus-doffres-demploi-que-de-demandeurs-a-partir-de-2021-2799138

[2] https://www.lecho.be/entreprises/general/les-entreprises-pleurent-pour-des-profils-technologiques/10166792

[3] https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/legaltech-ce-business-qui-attend-son-decollage/10305924

[4] https://www.digitalwallonia.be/fr/publications/wallonia-wonder-women

[5]https://www.rtbf.be/article/un-diplome-en-informatique-c-est-la-garantie-de-trouver-un-travail-pour-une-femme-10334166