Gand, la rebelle réfléchie
Rebelle depuis le Moyen-Age, Gand fascine. La ville conjugue son riche passé avec un dynamisme permanent, tout en refusant le statut de ville-musée. Dorian a joué le touriste d’un jour, guidé par Nicholas, Gantois d’adoption.
« Tu viens en train hé ? » me demande Nicholas en peaufinant ma visite de sa ville, Gand. Dès 1997, l’ancienne cité drapière a osé réduire drastiquement la place de la voiture pour permettre à ses habitants de respirer à pleins poumons. En rupture à l’époque, ce plan est aujourd’hui un exemple pour d’autres villes européennes. Je m’exécute donc et arrive en train à la gare de Gand Saint-Pierre sous un ciel radieux de juin. Je connais mal cette ville, où ma grand-mère a pourtant grandi avant de tomber amoureuse d’un carolo et de s’installer dans une Wallonie plus prospère. Une autre époque.
Moderne dans un décor médiéval
En arrivant à la gare, je m’aventure dans la cohue du Dampoort avant de remonter le Bijlokekaai pour rejoindre Nicholas. En marchant, il me montre au loin la Cathédrale Saint-Bavon, dont la tour gothique domine la ville. Notre balade nous emmène entre des murs médiévaux baignant dans les eaux des canaux. Chaque pierre, pavé ou écriteau fait écho à une époque révolue, où Gand, centre de commerce et de richesse au Moyen-Age, a vu les fortunes se faire et se défaire au fil de son industrie de la laine.
Nicholas m’explique que Gand est une ville rebelle, et ce dès le Moyen-Age. Lors des Gentse Feesten, l’apogée culturelle et festive de la ville, un cortège de « stroppendragers » ouvre d’ailleurs les festivités, en référence au surnom donné par Charles-Quint aux habitants de la ville qui s’opposèrent à sa politique et durent défiler dans les rues une corde au cou.
En écoutant Nicholas, je comprends que Gand refuse toutefois le statut de ville-musée. Ses joyaux architecturaux et sont riche passés sont des ressources mobilisées pour continuer à surprendre. Une sorte de volonté d’exister tout en honorant ses racines.
Nicholas tient à me raconter la construction de cette identité complexe en continuant notre promenade vers le Vooruit. Bâtiment construit en 1913 par la coopérative socialiste, le Vooruit était le cœur battant d'un mouvement populaire, un lieu de rencontre où la culture et la politique s'entrelaçaient. Au fil des décennies, ce lieu de débat a façonné l'histoire culturelle flamande et belge. Gand se comprend là. Ce refus de devenir une vitrine sur le passé découle d’impulsions politiques et citoyennes, qui transformèrent Gand en une ville ouverte, tolérante et innovatrice.
Astrid De Bruycker, échevine à Gand, nous le confirme lors d’un entretien. Poussée par un sociaal middenveld engagé, le monde politique local a toujours intimement impliqué la société civile et les associations dans ses prises de décision. Les exemples sont légion : divers outils pour les « smart cities », la politique scolaire, les budgets participatifs de quartiers, la politique anti-discrimination sur le marché locatif, etc. Ces politiques publiques ont toutes été initiées ou décidées par ou en concertation avec la société civile, et ce dans une volonté de « vivre ensemble ». L’ancien bourgmestre, Daniel Termonte, fût d’ailleurs le premier belge nominé au World Mayor Award en 2014. Il termina deuxième – une forme de récompense pour la politique que mène le collège gantois depuis des décennies.
Le défi : rester accessible
Pour me convaincre qu’à Gand, l’histoire s’écrit au présent, Nicholas décide de poursuivre notre journée par une visite au S.M.A.K., un musée d’art contemporain audacieux. En chemin, on croise des étudiants sortant d’examens. Ils sont plus de 85.000 dans la ville. Ils font vibrer la ville et aliment le tissu économique environnant une fois diplômés. Encore un atout. Cette ville serait-elle donc sans faille ?
« D’énormes défis sont face à nous » nous explique pourtant l’échevine. Gand ne veut pas se transformer en ville hipster-bobo, mais veut continuer à être agréable, accessible, et surtout betaalbaar. Comme dans beaucoup de villes, le prix de l’immobilier a connu une forte inflation ces dernières années. La ville risque de devenir inabordable pour certains groupes sociaux, à commencer par les jeunes familles.
La problématique résonne d’ailleurs fortement auprès les Gantois. Un collectif citoyen baptisé “Te Duur” a réussi à collecter la signature de plus de 10% des Gantois afin d’organiser un referendum non-contraignant sur le logement abordable. Le referendum aura lieu le 8 octobre (les questions sont en passe d’être définies). La ville tente en outre d’infléchir la politique du gouvernement flamand en matière de financement des logements sociaux. Le défi du betaalbaarheid est encore loin d’être remporté.
Après des frites avec Nicholas, je reprends le train, impatient de retourner à Gand pour continuer à découvrir ses perles, mais également de voir comment cette ville, souvent innovante politiquement, essaiera de répondre à un défi commun à beaucoup de nos villes.