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Le renouveau européen peut-il passer par des réformettes ?

Brieuc Van Damme et Laurent Hanseeuw. Brieuc Van Damme a été candidat Open Vld au Parlement européen, Laurent Hanseeuw est économiste et enseigne notamment à l’ULB. Tous deux sont diplômés du Collège d’Europe et membres du ‘Groupe du Vendredi’. Egalement paru sur LeSoir.be le 17 février 2017.

Un des pères fondateurs de l’Union européenne, Robert Schuman, avait coutume de dire que « L’Europe est plus une entreprise de raison qu’une affaire de sentiment ». Jean-Claude Juncker a probablement pris ces mots un peu trop au pied de la lettre lorsqu’il a annoncé vouloir rendre l’Europe plus politique en réformant le volet le plus technocratique du processus décisionnel européen : la comitologie.

De quoi s’agit-il ? Environ 75 % de notre réglementation nationale sont dictés directement ou indirectement par l’Europe. Les détails de cette réglementation – une loi ne prévoit jamais l’ensemble des éléments de mis en œuvre - sont laissés aux différents comités de la Commission européenne, au sein desquels les États membres doivent arriver à un consensus. Et comme il s’agit de questions hautement techniques, et donc peu médiatisées, les États membres y arrivent généralement. Mais lorsque achoppement il y a, la patate chaude est refilée à la Commission, qui tranche alors sur ces discordes.

Prenez un dossier sensible comme les OGM (organismes génétiquement modifiés). Après la révision de la directive en 2015, les États membres ont dû, le mois dernier et pour la première fois depuis 1998, voter dans ces comités sur l’autorisation de 3 nouveaux OGM en Europe. Avec 10 voix pour, 12 contre et 6 abstentions (dont la Belgique), il n’a pas été possible de conclure un accord. Selon les règles actuelles de la comitologie, il appartient donc à la Commission de trancher le différend de façon autonome le mois prochain.

Cette procédure pose deux problèmes. Imaginons que la Commission décide d’autoriser ces 3 nouveaux OGM. Elle mécontentera alors 12 États membres, qui n’hésiteront pas à blâmer l’Europe auprès de leur opinion publique. D’autre part, on est en droit de se demander s’il est bien correct que des technocrates de la Commission, non élus et ne devant rendre de compte à personne, prennent des décisions sur des matières aussi sensibles.

Cela fait déjà plusieurs dizaines d’années que l’Europe est critiquée pour ses décisions ainsi que pour son manque de transparence et de justification vis-à-vis des électeurs. Dans sa déclaration de septembre, Jean-Claude Juncker a dès lors annoncé vouloir rendre l’Union moins technocratique et plus politique. Notamment en réformant la comitologie et en plaçant les États membres devant leurs responsabilités en ne tenant plus compte de ceux qui s’abstiennent. Ainsi la Commission ne se retrouverait pratiquement plus jamais dans une obligation de trancher une décision que les Etats Membres ne veulent pas assumer.

Bien qu’importante, la réforme de la comitologie ne suffira pas à rendre l’Europe plus politique. Elle ne suffira pas non plus à amener les Européens à ne plus percevoir l’Europe uniquement comme la cause de tous les maux, mais également comme l’origine de bonnes choses. C’est même un bel exemple de naïveté technocratique européenne que de croire que l’homme de la rue se soucie d’une procédure technique telle que la comitologie, et de croire que cela va permettre à l’Europe de combler le fossé qui la sépare aujourd’hui de ses citoyens.

Évidemment, la Commission doit tenir compte de 27 réalités politiques différentes. Mais c’est précisément pour cela qu’il appartient à des États membres comme la Belgique de montrer à quoi doit ressembler cette Europe des Européens. Ne nous leurrons pas : le centre de gravité européen ne se trouve pas à la Commission ni au Parlement, mais bien au sein des 27 États membres qui font entendre leur voix via le Conseil. Pourtant, la transparence en est bien absente : qui d’entre nous sait comment votent son propre chef d’État et ses ministres ? Au Conseil également, les États membres peuvent se décharger électoralement de leur responsabilité politique sur le Léviathan européen, comme cela se fait aussi aujourd’hui dans le cadre de la comitologie.

Bref, outre la réforme de la comitologie, qu’est-ce que la Belgique doit encore mettre sur la table pour défendre le projet européen auprès de ses citoyens, placer les États membres face à leurs responsabilités, et augmenter la légitimité des institutions européennes ?

Les réformes doivent d’abord se concentrer sur le Conseil, là où se trouve le cœur du problème. Les procès-verbaux et les votes des réunions doivent être publiés. Les parlements nationaux doivent également recevoir via le ministre un procès-verbal des réunions du Conseil. Pour les dossiers sensibles (militaire, sécurité, etc.), le ministre pourrait négocier un mandat suffisamment large avec son Parlement.

En deuxième vient la Commission. Contre toute attente, l’élection « directe » du président de la Commission a été un succès. Comme le propose également le jeune think-tank Euro2030, la prochaine étape devrait être de lui donner, sur la base d’une majorité au Parlement européen, la possibilité de composer lui-même sa Commission. Cette Commission devrait être plus petite, et naturellement tenir compte de la diversité nationale et politique de l’Union. Le président de la Commission pourrait dissoudre et par conséquent responsabiliser le Parlement, où triompherait enfin le jeu politique de majorité contre opposition.

Enfin, le pouvoir du Parlement pourrait alors évoluer sous deux aspects essentiels. D’une part, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, il devrait recevoir un droit d’initiative. Deuxièmement, le cycle budgétaire européen devrait coïncider avec celui des élections européennes, de façon à ce que le nouveau Parlement puisse pleinement jouer son rôle de contrôleur des dépenses de l’Union.

En contrepartie de ce glissement du pouvoir vers l’hémicycle, les parlementaires auraient beaucoup plus de comptes à rendre. Cela signifie faire dépendre leur rétribution en partie de leur présence et du travail presté. L’affectation des moyens qui leur sont attribués devrait également être rendue publique.

Une mesure radicale ? Effectivement. Mais « celui qui n'ose pas s'attaquer à ce qui est mauvais, sait mal défendre ce qui est beau ». Ça aussi, c’est Robert Schuman qui l’a écrit, certes dans une humeur plus poétique.