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Pourquoi des élections primaires pourraient redynamiser la politique belge

Paul Dermine est doctorant en droit de l’Union européenne à l’Université de Maastricht et membre du Groupe du vendredi. Cet article est également paru dans L’Echo du 4 novembre 2016.

Le chemin de croix de l’électorat américain se termine mardi prochain. Plus que le résultat du suffrage final, ce sont les primaires, et les candidats dont elles ont accouché, qui auront contribué à faire de cette élection un épisode sans précédent de l’histoire démocratique américaine. En France, la capacité des partis traditionnels à faire barrage au Front National en mai 2017 dépendra en grande partie de l’issue des élections primaires auxquelles leurs candidats (en ce compris le Président sortant) se soumettront prochainement.

L’élection primaire, en impliquant au plus tôt la base dans le processus électoral, permet d’accroitre leur légitimité (et leurs chances de succès). De nombreux partis européens l’ont compris. Le phénomène reste néanmoins largement ignoré par les formations politiques belges.

Pourtant, le mécanisme de l’élection primaire, appliqué à nos listes électorales, représente un intérêt réel pour notre pays et ses citoyens, dès lors qu’il corrigerait certains des dysfonctionnements de notre système de représentation. Ceux-ci ne sont pas nouveaux. Le vote des citoyens, s’il continue de dicter les rapports de force entre les formations politiques du pays, a par contre une incidence nettement moindre sur l’identité des hommes et femmes composant les assemblées et gouvernements censés les représenter.

La ‘particratie’ à la belge, combinée au système de listes (dont la confection demeure le fait exclusif desdits partis) et aux mécanismes de l’effet dévolutif de la case de tête et de la suppléance, diminue sensiblement le nexus entre l’électeur et ses mandataires politiques. Les conséquences de cette disjonction sont importantes. Notre classe politique peine parfois à se renouveler (c’est surtout vrai au Sud du pays).

Des deux côtés de la frontière linguistique, et tous partis confondus, des dynasties familiales se sont constituées. L’éclosion de jeunes pousses est toujours plus difficile. Plus fondamentalement, ce contexte ne favorise pas l’émergence, au sein des partis, d’idées novatrices et de projets alternatifs. En somme, une classe politique bien en place, des personnalités politiques toujours plus formatées et une pratique démocratique qui s’aseptise, alors que l’on devrait la vouloir toujours plus vivace.

A la différence d’autres propositions, la nôtre attaque la racine de ce phénomène. L’organisation de primaires, en impliquant l’électeur dans la confection des listes, le replacera au cœur du processus électoral, lui permettra de se réapproprier la politique et ses représentants, et d’insuffler un souffle nouveau à notre démocratie.

Le principe même de la tenue d’élections primaires en Belgique peut étonner, tant le mécanisme est naturellement associé à des Etats dotés d’un système présidentiel fort et dont les élections sont guidées par une logique majoritaire (comme aux Etats-Unis ou en France). La primaire est pourtant pleinement implantable dans un système parlementaire structuré selon une logique proportionnelle, comme le montrent les exemples grec ou italien.

Selon quelles modalités ?

L’organisation de primaires est possible à tous les étages du jeu politique belge. Une démarche expérimentale pourrait toutefois pousser les formations politiques à l’essayer d’abord au niveau local. A l’inverse, une logique de rupture pourrait inciter les partis à l’implanter d’emblée à l’échelon fédéral.

Quant aux candidatures couvertes par la primaire, les options sont multiples. La primaire pourrait être limitée à la seule tête de liste, les autres positions demeurant l’apanage des organes de parti. Comme l’exemple de la primaire à droite en France le laisse penser, une telle configuration ne permet qu’une ouverture et un renouvellement très modérés. La logique du mécanisme serait ainsi mieux desservie si son application était étendue à une portion plus importante de la liste (les positions ‘éligibles’), voire à son intégralité.

Les primaires belges n’auront d’intérêt réel que si elles sont ouvertes, et donc accessibles à tous les électeurs du niveau de pouvoir concerné. Subordonner la participation de l’électeur à son affiliation préalable au parti organisateur reviendrait immanquablement à passer à côté de l’objectif poursuivi. Dans le même ordre d’idées, la possibilité d’une participation aux primaires de plusieurs partis devrait être ménagée, vu la proximité idéologique qui existe souvent entre nos nombreuses formations politiques. Suivant l’exemple français, la signature d’une Charte pourrait toutefois être prévue, afin de garantir l’adhésion des votants aux valeurs fondatrices du parti organisateur, et dans le souci de minimiser le phénomène de ‘raiding’ (torpillage). Finalement, le financement d’un tel processus ne saurait constituer un obstacle sérieux à son organisation. Il peut être en grande partie couvert par la dotation du parti organisateur, et éventuellement garanti par le paiement d’un modeste ticket modérateur par les participants, qui attesterait en outre de la sincérité de leur démarche.

En Belgique, les partis s’organisent librement. La tenue de primaires en leur sein ne saurait leur être imposée, et devra être le fruit d’un choix délibéré. A nos formations politiques d’initier leur examen de conscience, pour réaliser que la sélection des candidats se doit d’être davantage qu’un exercice entre-soi, dont le citoyen est volontairement tenu écarté. Alors saisiront-elles peut-être les vertus réelles de l’élection primaire. En ouvrant grandes les portes des bureaux politiques, le mécanisme peut redonner un sens et un poids à l’acte de vote, pour finalement accroitre la légitimité des partis et de leurs élus, et redynamiser le jeu démocratique.