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Les voies du médecin sont impénétrables

Sam Proesmans est médecin, a étudié la santé publique à la Columbia University de New York, et est membre du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 12 janvier 2018.

Nombreux sont ceux pour qui les fêtes de fin de l’année rime avec religion et spiritualité. Ce n’est pas mon cas. Car depuis quatre ans, je travaille avec Dieu le Père au quotidien. Je suis en effet médecin spécialiste en formation – après sept ans d’étude en médecine générale – et une bonne partie de mes supérieurs s’estime littéralement comme tel. . Certes, sur le plan professionnel, c’est effectivement le cas, puisque leurs connaissances et leur expérience médicale sont bien supérieures aux miennes. Je n’ai pas peur de le reconnaître, et de leur demander conseil, après tout, je suis encore en formation.

Toutefois, pour beaucoup d’entre eux, cette supériorité semble également valable sur le plan personnel, en tant qu’être humain. En 2017, est-il encore légitime qu’un superviseur vous regarde de travers parce que – par accident – vous avez osé le tutoyer ? Cette hiérarchie, doublée d’un climat de critiques mordantes et de feed-back anonyme, érige des frontières au sein de la médecine, privant ainsi cette communauté d’une communication harmonieuse. Car, si la hiérarchie est importante jusqu’à un certain point, par exemple pour désigner les responsabilités, elle n’est pas incompatible avec une culture d’égalité et de feed-back direct – comme c’est le cas aux Pays-Bas, en Scandinavie et aux États-Unis.

Cela s’entend, la vie d’un assistant ne se limite pas à ce sombre tableau. Le système évolue dans le bon sens : la formation est professionnalisée, des moments d’évaluation formels sont instaurés, et il existe des directives concernant la charge et les horaires de travail. Quant à savoir si ces directives sont effectivement mises en pratique, c’est une autre paire de manches. Il y a deux ans de cela, j’eus une conversation avec un superviseur, dont je garde encore un souvenir vivace : je sortais tout juste d’un shift de vingt-cinq heures aux soins intensifs. C’était le jour de Noël. Allais-je pouvoir récupérer ce jour férié ? On me répondit par un rire moqueur : « Mais Sam, tu n’es qu’assistant, et puis quoi encore ?! »

Mais je m’égare, venons-en au fait : de tels shifts de vingt-cinq heures peuvent entraîner des conséquences potentiellement mortelles pour le patient et pour le professionnel de la santé lui-même. N’oblige-t-on pas les chauffeurs de camion à prendre une pause ?

Je travaille dans un système où l’indépendance n’est pas encouragée, mais pénalisée. Pour réussir, il faut surtout rentrer dans les rangs. Et si vous souhaitez interrompre votre formation – qui dure bien souvent 13 ans voire plus – pour des raisons personnelles ou professionnelles (pour un congé parental ou des études complémentaires par exemple), il vous faut toujours livrer bataille. Il n’est d’ailleurs pas rare que des collègues déclarent forfait : troquant leurs illusions contre un burnout, ils abandonnent leur rêve d’enfant de devenir chirurgien ou interniste.

Une garde impossible, la charge de travail, le rejet d’une demande d’interruption, mais également le manque d’empathie et de feed-back de la part des superviseurs : telles sont les raisons principalement invoquées lors de l’arrêt d’un cursus. Un arrêt regrettable, tant pour la personne en question, qui y a investi son temps et son énergie, que pour la société qui jette ainsi par la fenêtre des dizaines de milliers d’euros investis dans la formation médicale..

Le monde médical a un besoin criant de plus d’humanité, et d’une vraie communication, particulièrement entre les médecins. Pour le bien du patient, mais également pour enrayer l’épidémie de burnout et de dépression qui sévit chez les médecins. Un shift ne devrait pas durer plus de douze heures. Une ASBL centrale doit être instaurée – à l’instar du système en vigueur pour les généralistes en formation – afin de verser le salaire des futurs spécialistes et garantir la qualité de l’apprentissage. À l’heure actuelle, cette qualité est à peine contrôlée, et les assistants dépendent (financièrement) du bon vouloir de leur maître de stage ou de l’hôpital dans lequel ils atterrissent.

De telles mesures ne manqueraient pas de porter leurs fruits, du moins si Dieu le Père daigne descendre de sa légendaire échelle hiérarchique.