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Qui a peur de l’électeur ?

Plaidoyer pour des listes transnationales au Parlement Européen, par le Groupe du Vendredi et Bouger Les Lignes, groupes de réflexion pluralistes de jeunes belges (Groupe du Vendredi) et français (Bouger les lignes).

Le jour de noël mille neuf-cent cinquante naquit, dans une Grande-Bretagne dont l’Empire se disloquait, un dénommé Andrew Duff. Soixante ans plus tard ce cambridgien devenu parlementaire européen proposait une petite révolution démocratique sur le vieux continent: une circonscription unique européenne doublée de listes transnationales. Dans son esprit, ces dernières permettraient à chaque citoyen, où qu’il réside dans l’Union, de faire un choix entre les mêmes personnes, les mêmes partis, les mêmes projets. L’idée rencontra peu d’enthousiasme. Décriée comme un cheval de Troie fédéraliste au sein d’une Europe revenue de ses illusions communautaires, elle fût tuée dans l’œuf.

Et pourtant, l’histoire se répète: demain, en séance plénière du Parlement Européen, ce projet législatif sera à nouveau soumis à nos députés. En quelques années, le contexte a changé du tout au tout. Après leur départ, les britanniques laisseront derrière eux septante-trois sièges. Le projet propose de pourvoir une petite partie de ces sièges au moyen de listes transnationales, pour lesquelles voteraient près de quatre-cent cinquante millions d’européens au sein d’une circonscription électorale unique. Concrètement, il s’agirait de donner à chaque citoyen, en sus de son vote habituel pour son eurodéputé national, un vote pour une liste de députés issus de différents pays membres, rassemblés autour d’une même ligne politique.

Le clivage, lui, est demeuré identique. A nouveau, des forces« pro-européennes », à l’initiative de ce texte, s’opposent aux partisans de la méthode intergouvernementale. Ne nous ne trompons toutefois pas de cible. La question des listes transnationales n’est pas elle-même une question sur plus ou moins d’Europe. Il s’agit bien ici en effet de mettre en place une plateforme démocratique ad hoc pour qu’un tel débat ait lieu. Mme Lepen et Mr Wilders devrait pouvoir aussi bien se retrouver dans ce projet que Mr Verhofstadt.

Même si l’euroscepticisme a connu un succès croissant ces dernières années, il est difficile de nier qu’un certain consensus sur plus d’intégration a continuellement animé les élites dirigeantes ces sept dernières décennies. Il s’agit d’un équilibre instable. Toute construction institutionnelle, fut-elle séculaire, devrait pouvoir faire l’objet de débats, y compris sur ses fondamentaux. Organiser de tels débats en vase clos, au sein de chaque état membre, présente un danger intrinsèque. Cela est vrai à l’échelle d’un Etat, où la centralisation ou décentralisation de ces débats ne peut se faire démocratiquement et respectueusement qu’à l’échelle nationale. Le récent exemple catalan, ou même d’ailleurs britannique, nous montre à quel point l’affrontement de logiques démocratiques, par lequel des peuples votent seuls des décisions impactant d’autres, mène à des impasses. Le débat démocratique peut dériver s’il n’occupe pas le bon hémicycle ou ne consulte pas (tous) les citoyens concernés.

Cela n’est pas différent à l’échelle de l’Union. La décentralisation, voir l’extinction de l’Union Européenne, est un projet et une opinion politique légitime, à vrai dire tout aussi défendable qu’une fédéralisation croissante de celle-ci. C’est ce type de débat que les listes transnationales rendent possible. Bien entendu, les sceptiques argueront que la diversité linguistique et l’abstraction des débats européens font de ce projet un vœu pieux, les listes transnationales n’étant alors qu’une énième tentative à la démocratisation d’un projet à l’essence technocratique. Mais au fond, quel risque prend on ? Si ces élections ne suscitent aucun intérêt, cela sera en soi un enseignement quant aux limites de l’adhésion au projet européen. A l’inverse, si des partis européens présentant un ensemble de personnalités à travers le continent, peuvent susciter le débat sur notre avenir commun, nous pourrons plus légitimement faire évoluer l’organisation du continent et ce, quelle que soit sa direction.

La perspective de listes transnationales n’est pas en réalité un projet d’union fédéraliste. Elle offre un terrain complémentaire de débats quant à l’évolution de l’Union, son futur, voire même sa disparition. Tout politicien cherchant à convaincre les électeurs devrait donc l’encourager et l’embrasser. Le vote du parlement européen sur les listes transnationales n’est pas un vote pour plus ou moins d’Europe. C’est un vote pour plus ou moins de démocratie. En politique aussi, Noël existe. Pour les européens, c’est demain.