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Les fonctionnaires au centre de l’administration

Nathalie François, manager au cabinet de conseil YCE Partner à Paris et membre du Groupe du Vendredi. Egalement paru dans L’Echo du 5 janvier 2018.

Face à un ministère à la population vieillissante qui ne parvient plus à recruter ou un organisme de sécurité sociale qui constate que ses métiers traditionnels disparaissent à l’ère du numérique, qu’il s’agisse de répondre aux exigences de la fameuse génération Y ou encore de l’envie de ré-enchanter une commune, plusieurs dirigeants publics se sont lancés dans l’aventure. Qu’on l’appelle « entreprise libérée » ou « organisation opale », qu’on évoque le « management participatif » ou le « bonheur au travail », au-delà des mots et des modes, de plus en plus d’organismes publics défient les traditionnelles rigidités de leur fonctionnement pour s’inscrire dans des démarches basées sur le sens, l’autonomie et la collaboration.

L’essence de chacune de ces démarches, participatives et co-contruites avec chacun des membres, est d’être propre à l’organisme qui la mène. Une recette miracle reproductible à l’envi ne pourrait dès lors qu’être une supercherie, comme le précise avec sagesse Laurent Ledoux a l’origine d’une telle démarche au sein du SPF Mobilité.

On retrouve toutefois des leviers d’action comparables d’une expérience à l’autre. Ces aventures, souvent entamées dans la discrétion, se fondent sur une réflexion commune sur les valeurs que les membres de l’organisme veulent porter ensemble, pour ses membres et pour le public. S’en suit la modification de plusieurs processus de gestion du personnel, afin de libérer l’initiative individuelle.

Un changement de rapport au lieu de travail, tout d’abord, avec pour certains l’augmentation des possibilités de télétravail, pour d’autres une gestion des bureaux plus flexibles. Plus de bureaux individuels immuables, mais des espaces différentiés permettant à chacun de choisir d’être entouré ou isolé en fonction des besoins du moment. Les méthodes d’évaluation sont également revues. On ne se limite plus à la traditionnelle distribution annuelle des bons ou mauvais bulletins. L’évaluation est continue et tournée vers l’avenir. Elle doit permettre l’évolution de chacun tout au long de l’année. Le recrutement devient participatif. Les futurs collègues directs participent au choix des nouveaux membres de l’équipe, selon des modalités propres à chaque organisme : double jury, jury mixte, immersion dans l’équipe de certains candidats, etc. Finalement, dans beaucoup d’organismes, les pointeuses, voire les horaires eux-mêmes, disparaissent au profil d’une organisation gérée par les équipes elles-mêmes sur la base d’objectifs précis.

Ces évolutions ne vont pas sans résistances, notamment syndicales, et sans craintes, qu’il est important de prendre le temps d’écouter et d’apaiser comme le dit Laurence Vanhée, qui a porté le projet de transformation du SPF Sécurité Sociale. Certains organismes ont d’ailleurs co-construit des réponses originales et pertinentes. Face à l’inquiétude qu’il en soit demandé toujours plus à des travailleurs qui ne seraient plus protégés par leurs horaires, la Commune de Pont-à-Celles a imposé un nombre maximal d’heures de travail par jour et par semaine afin d’éviter toute surenchère.

Un élément central revient également dans chacune de ces démarches : la suppression des « marques extérieures d’inégalité » comme les nomme Laurent Jaladeau, président de la CPAM de l’Aude, organisme français d’assurance maladie. Fini ces grands bureaux inutiles car tout le temps vides, ces titres ronflants, l’habitude de passer devant tout le monde à la cantine, … Le grand perdant de ces démarches semble finalement être d’abord et avant tout l’égo.

Or, évacuer les égos encombrants et considérer chaque membre de l’organisation comme un adulte responsable et capable d’initiatives pertinentes, et non comme un enfant à contrôler, améliore le service public dont nous bénéficions tous. Non seulement, cela réduit le temps de traitement des dossiers, comme l’ont noté les SPF Sécurité Sociale et Mobilité, mais cela permet aussi des modifications bien plus substantielles. Les travailleurs de la CPAM de l’Aude ont eu l’occasion de proposer de nouveaux métiers en fonction des besoins du public auxquels ils étaient confrontés au quotidien. Est ainsi apparu le métier de conseiller assurance maladie sénior qui, en test actuellement, a déjà permis à plus d’une centaine de personnes âgées isolées en zone rurale de récupérer leurs droits et, en conséquence, un juste accès aux soins.

Alors, chers responsables du service public, si votre bonne résolution pour 2018 était de faire confiance à votre personnel ?