2017 05 12 de polarisatie van het debat kan goed zijn voor een pluralistische samenleving als de onze

La polarisation du débat peut être une bonne chose pour nos sociétés pluralistes

Brieuc Van Damme et Soumia El Majdoub sont membres du Groupe du vendredi. Une version néerlandaise de cet article a été publiée dans De Morgen du 12 mai 2017.

Ce triste 22 mars, Leila monte insouciante à bord de l’avion. D’ici une heure ou deux, elle sera de retour en Belgique. Certes, Dubaï a été spectaculaire, mais Bruxelles et Anvers sont quand même beaucoup plus authentiques. Elle est impatiente d’arriver chez elle. Dans un anglais impeccable, le pilote annonce un vol tranquille. Le soleil brille à Bruxelles, et la vie y suit son cours habituel.

Après le petit-déjeuner, quelque part au-dessus de la Méditerranée, les écrans plasma du vol UAE183 commencent à diffuser en direct les images des attentats à l’aéroport et dans le métro bruxellois. Il ne faut pas longtemps avant qu’un passager ne se mette à traiter Leila de sale musulmane. Personne ne prend sa défense. Personne ne juge nécessaire d’intervenir, jusqu’à ce que le pilote libanais lui-même quitte le cockpit et renvoie l’importun dans une autre partie de l’appareil. Si Leila avait été sur la terre ferme, elle aurait senti le sol se dérober sous ses pieds.

Attisée par la crise des réfugiés affluant du Proche-Orient et par les sanglants attentats de Paris, la polarisation latente des derniers mois venait de faire une nouvelle victime, à bord de cet avion. Au téléphone, Leila me confia en pleurant qu’elle ne voyait pas comment nous pourrions encore vivre ensemble après ces lâches attentats. Moi aussi j’ai commencé à en douter, et en ce 24 mars 2016, nous avons décidé de placer la prochaine conférence du Groupe du Vendredi sous le thème de la polarisation croissante au sein de notre société.

L’année écoulée nous a hélas confortés dans ce choix thématique. L’extrémisme et le racisme ont le vent en poupe et alimentent la déferlante populiste. Les médias sociaux nous montrent intentionnellement ce que nous sommes le plus enclins à ‘partager’ et ‘aimer’. Alors que nous devrions justement nous montrer plus curieux, il est plus tentant de nous enfermer dans notre propre vision des choses, face à l’incertitude d’un monde complexe en pleine évolution. Bien malheureusement, cet état de fait se traduit en politique par une cristallisation idéologique et un profilage généralisé. La distance entre les individus s’accroît, et l’espace de dialogue se rétrécit. Enfin, nous avons laissé le monopole de bien trop de débats aux partis extrêmes. Ce n’est pas une bonne idée d’abandonner le débat sur l’utilité de l’euro à la seule Marine Le Pen, ni de laisser à Trump le monopole du débat sur les errements de notre politique au Moyen-Orient (ou sur les bienfaits du libre-échange). Nous devons oser entrer en discussion sans tabou.

C’est pour cela que nous avons choisi ‘Rassembler les radicaux’ comme intitulé de la conférence que nous organisons aujourd’hui. Nous voulons aborder des idées radicales, voire inconfortables, et les utiliser comme antidotes dans un débat public empoisonné. La polarisation et la contradiction ne doivent pas nécessairement être perçues comme négatives quand elles signifient l’échange respectueux d’opinions différentes, ce que nous avons trop souvent oublié de faire ces dernières années.

Le pluralisme veut donc dire ça : accepter la force d’une argumentation ou d’une solution même si celle-ci ne cadre pas forcément dans sa propre conviction idéologique. Le pluralisme ne veut pas dire que nous cherchons toujours le juste milieu mais bien que nous acceptons que des problèmes complexes et divergents ne peuvent être résolus que par une politique issue de divers creusets (idéologiques). Si l’idéologie est une boussole, alors le pluralisme est une carte : il faut accepter de devoir parfois prendre un autre chemin pour atteindre son but.