Epicerie

Le théâtre : nouvelle force politique mobilisatrice à Bruxelles ?

Morad Chahboun est entrepreneur, co-fondateur de Molengeek, fait partie du Centre l'Epicerie et est membre du Groupe du Vendredi.

Derrière le minaret de l’église St-Jean Baptise en plein cœur de Molenbeek, se trouve un ancien dépôt taxi que deux initiatives ont décidé de transformer en fabrique d’expression et de démocratie locale. L’épicerie (le biennommé centre) accueille certains soirs, une population bruxelloise familiale et bigarrée qui s’y rend afin de rejouer les solutions qu’ils verraient bien appliquer dans la cité.

A côté d’œuvres théâtrales plus classiques (nonobstant les explosions de rire qui s’y produisent trop régulièrement), les membres de l’Epicerie ont une façon particulière de recréer dans un espace relativement confiné, l’agora publique avec le luxe d’une représentativité de la société que beaucoup d’instances pourrait jalouser. Des mères et leurs mioches, des jeunes couples et des personnes plus âgés, des connaissances du quartier avec des étrangers, tout ce beau interrompt sans sourciller le jeu pour changer la scénette qui y est joué. Testé sur la problématique du chômage, les citoyens en live n’hésitent pas à monter sur les planches pour montrer comment « solutionner »

Les acteurs de l’Epicerie n’ont rien inventé. Ce qu’ils font, c’est du théâtre action, une forme particulière d’art scénique durant lequel le public participe à la co-création de l’œuvre. Toute lumière allumée, chacun dans la salle y va de son opinion sur la participation et la liberté de chacun face à la problématique du travail. Une ébauche de solution collective est construit et les gens rentrent chez eux, fier de ce qui a été produit.

Bien plus "social" que Facebook, aussi efficace qu'une thérapie de groupe, aussi présentiel et réel qu'une situation de tous les jours, le théâtre action permet aussi d'intégrer les émotions, les corps et le discours en un seul lieu. La sensibilité qui en découle, l'empathie qui se crée permet de dépasser les intérêts économiques individuels en intégrant les intérêts des autres membres de la communauté. Les thématiques sur lesquels le théâtre action peut s'appuyer sont sans limites et peuvent porter autant sur des problématiques de voisinage que sur des sujets plus globaux.

En fait, nous avons là l’ensemble des éléments qui définissent une agora publique à savoir la mise en commun de personnes en un seul lieu, l’interactivité entre les différents membres qui conduit à une multiplication des perspectives sur le sujet qui paraissait très simple pour chacun avant d’entrer sur scène. Ajoutez-y une représentativité facilitée et une prise en compte des émotions ainsi que des corps, vous avez là un haut lieu de démocratie participative dans quelques mètres carrés.

Ce qui est souvent reproché au fonctionnement démocratique actuel est (entre autre) le peu de représentativité qui existe dans les hémicycles de débats. Les élections ont souvent failli à envoyer des employés, petits commerçants et autres ouvriers dans les lieux de débats. Au niveau local où les décisions affectent particulièrement la vie au jour le jour des citoyens, les décisions prises par des édiles dans des dossiers souvent compliqués, conduisent à des frustrations et un rejet de la politique. Le théâtre action doit être considéré comme une forme valable d’interactivité où les citoyens viennent proposer des solutions à des problématiques aux enjeux opposés.

Des sujets aussi sensibles que la mobilité pourrait montrer comment des cyclistes, des conducteurs et des enfants comptent se partager l’espace public en tenant compte des impératifs « supérieurs » (écologie, économie, etc.) qui pourraient se poser. On peut envisager un output qui dépasse la convivialité d’avoir partagé un moment de créativité. Il suffit d’imaginer qu’un rapporteur puisse synthétiser le résultat de ces ateliers, le transmette de manière régulière au conseil communal qui y trouvera des propositions issues d’une plus grande représentativité. Pour reprendre les dires de la chercheuse Dr. Rachel Brahy, il y’a possibilité d’un commun et le défi, c’est de faire émerger le récit partagé.

Pour nos édiles qui visent une démocratie plus participative, cela vaut la peine de considérer le théâtre action comme un vecteur puissant amenant les citoyens d'une localité à s'emparer du débat qui leur est posé, de le confronter et de construire leur solution.

A un niveau plus national, je ne risque pas beaucoup en disant que nous sommes en mal d’histoire collective. Pourtant, notre besoin de croire dans un récit partagé qui dresse le futur auquel nous aspirons dépasse de loin les informations économiques et/ou sécuritaires qui nous sont assénés toute la journée.

Qu’attendons-nous pour créer ce récit partagé ?

Le peuple sur scène, les planches guidant le peuple, le peuple lançant des salves d'espoirs. A nous de jouer.