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A quoi servent nos prisons ?

Le rôle des prisons a fortement évolué au cours de l’Histoire. Dans l’antiquité, l’incarcération n’existait qu’à titre principalement préventif ou utilitariste, pour forcer une personne à payer ses dettes, par exemple. Sa fonction protectrice, écartant la société d’individus dangereux, ou son rôle rédempteur, ne sont apparus que bien plus tard, au XIXe siècle. C’est à cette période que le recours structurel à des peines d’enfermement apparaît, ainsi que les débats principiels sur l’objectif poursuivi par ces peines.

Assez rapidement, deux grands courants s’opposent, l’un voit la prison comme outil punitif et de protection de la société, écartant les individus considérés comme dangereux, afin qu’ils paient leurs dettes vis-à-vis de celle-ci. Une autre pensée, positiviste, voit la prison comme un lieu de rédemption ou de rééducation, permettant à l’individu de se réinsérer, une fois sa peine purgée.

Ces antithèses n’ont, jusqu’à aujourd’hui, jamais fusionné dans une vision commune mais elles ont néanmoins toujours partagé un objectif commun : protéger la société et les individus qui la composent, que ce soit en empêchant des criminels de perpétrer ou de les transformer pour le meilleur.

En Belgique, au XXIe siècle, ce but essentiel n’est pas atteint.

Comme le montre le rapport du Groupe du Vendredi à paraître la semaine prochaine, le système pénitentiaire échoue à maints égards dans son rôle protecteur. En comparaison européenne, la Belgique prend une approche relativement sécuritaire, notre taux de détention ramené à la taille de la population étant dix à trente pour cent plus élevé que nos voisins, voire le double des Pays-Bas. Le taux de récidive connu est cependant abyssal (presque 60 pour cent !), lorsque l’on prend la peine de le mesurer. Les conditions de détention et la surpopulation carcérale sont telles que de nombreuses maladies se propagent, voire réapparaissent en prison, celles-ci étant parfois contagieuses, y compris pour les personnes à l’extérieur quand les détenus ressortent. Enfin, il a été démontré que les détenus sont particulièrement susceptibles aux discours radicaux, en particulier en début de détention. La prison est donc un vecteur de radicalisation, avec les conséquences qu’on connaît.

Ce constat peu élogieux l’est d’autant moins que le système est couteux. Tous budgets confondus, ce n’est probablement pas loin d’un milliard qui est injecté chaque année dans notre politique carcérale. Par habitant, la Belgique dépense plus d’un tiers en plus pour son système carcéral que la France ou l’Allemagne.

Quel que soit l’opinion que l’on ait sur le rôle de la prison, l’objectif n’est clairement pas atteint. Pourtant la cause n’est pas perdue. Il existe nombre de pistes pour améliorer cette situation et réduire le taux de récidive, du parcours de réintégration néerlandais à une meilleure collaboration interfédérale en passant par l’utilisation de moyens de financement innovants pour tester des approches novatrices tels que les social impacts bonds. Nous en détaillons plusieurs dans le rapport à paraître. Toutes ne plairont pas et certaines sont sans doute plus faciles à mettre en œuvre que d’autres. Mais la situation actuelle est plus que criante. Sauf à considérer la prison dans un rôle exclusivement punitif, le système actuel ne devrait convenir à personne. Il échoue dans la protection de la société en produisant des récidivistes en masse, encourageant le radicalisme et contribuant à la propagation de maladies infectieuses. A fortiori, la prison passe à côté de son rôle de réinsertion.

Le dramaturge George Bernard Shaw disait, non sans ironie, que « l’Homme le plus inquiet d’une prison est son directeur ». Il est maintenant temps que nous nous en inquiétions tous également, si nous voulons y donner une nouvelle direction.

Également paru dans L’Echo du 23 novembre 2018.